mercredi 14 mai 2008

Des chiffres et des Primaires

Il en va actuellement de la guerre en Irak comme des Primaires démocrates: au centre de tous les débats, le mot "victoire" est bien difficile à définir. Les chiffres sont pourtant clairs et sans appel pour Hillary... l'indispensable site "realclearpolitics.com" donne à Obama une avance de 168 délégués, après la victoire de Clinton en Virginie, alors qu'il reste un peu moins de 200 délégués en jeu dans les Primaires et que les "super-délégués" commencent, enfin, à se tourner majoritairement vers Obama. Ainsi, on s'approche dans les faits d'une victoire d'Obama.
Mais on est loin de la fin des polémiques, puisqu'Hillary dans son dernier discours parle de la nécessité de comptabiliser les votes des Primaires (annulées) de Floride et du Michigan ou elle partait largement favorite en janvier, avant l'ascension de son rival. Il semble de plus en plus clair que le clan Clinton soit déterminé à aller jusqu'au bout de cet argument, c'est à dire jusqu'à la Convention démocrate fin aout si un compromis n'est pas trouvé d'ici la par Howard Dean, leader du Parti Démocrate. Cet aventurisme est vivement critiqué dans la presse américaine qui accuse les Clinton "de ne pas savoir partir avec classe", une allusion cinglante à l'affaire Lewinsky. Mais, même avec toutes les entourloupes adverses imaginables et autres scénarios improbables, il apparait avec certitude qu'Obama aura une majorité de délégués d'ici juin. Les délégués des prochaines Primaires devant être répartis également, Hillary Clinton devait obtenir pour gagner au moins les 3/4 des super-délégués pour parvenir au nombre de 2024, synonyme de victoire. Cer derniers, caciques de la vie politique des Etats-Unis dont la décision est connue des électeurs, ne peuvent plus ne pas prendre en compte l'engouement autour du Sénateur de l'Illinois.
Un engouement partiel néanmoins. Obama a perdu de sa superbe ces dernières semaines. On dit qu'il s'est "normalisé", que son style plaisait mais qu'une absence d'argumentaire l'a rendu lassant et répétitif. Son statut de "premier de classe" ne plait pas à la classe populaire blanche qui n'a pas apprécié son commentaire cynique sur "ces Républicains qui veulent vous rendre accroc aux armes et à la religion parce que l'économie est mauvaise". Avec cette phrase, sa plus grande erreur de campagne, Obama se coupe d'une bonne partie de son électorat potentiel ("Reagan democrats" et indépendants) et s'européanise dangeureusement, le précèdent de John Kerry en 2004 faisant figure de rappel. C'est dans ce cadre qu'il faut replacer l'affaire du Pasteur Wright qu'Obama dénonce depuis que ce dernier affirme que son "élève" est secrétement en accord avec lui.
Mais, comme disait récemment John Stewart du Daily Show, Mc Cain a lui aussi un pasteur faisant office de boulet à la cheville: George W. Bush. Les sondages montrent que les électeurs sont inquiets à près de 43% d'un possible "troisième mandat Bush" (qui n'est pas sans rappeler les craintes en France quant à une candidature de Jacques Chirac en 2007), tandis que l'écart se creuse (4-5%) avec ses deux rivaux démocrates. Face à Obama, vainqueur plus que probable, il devra lutter contre une sorte de mix entre Luther King et JFK. La tâche n'est pas si difficile qu'on le prédit: Obama n'est pas à son meilleur dans les duels télévisés. Voila une faille à exploiter pour le candidat républicain qui propose d'ailleurs une série de duels thématiques aux quatre coins de l'Amérique. Obama a répondu positivement, pour le plus grand bonheur des amoureux de la démocratie (dont nous sommes!). Cette élection est décidemment bien différente.

Michael Benhamou

Liens utiles :
http://jeffreygoldberg.theatlantic.com/archives/2008/05/obama_on_zionism_and_hamas.php. Interview de Politique étrangère de Barack Obama.http://www.realclearpolitics.com/video_log/2008/05/clintons_victory_speech.html. Discours d'Hillary Clinton en Virginie.http://www.youtube.com/watch?v=OT141FE4Rb0. Mc Cain chez John Stewart

vendredi 18 avril 2008

Elections US 2008: Il faut sauver le candidat démocrate

Le 22 avril prochain, la primaire de Pennsylvanie version 2008 s’ouvrira. Et c’est un mois et demi d'une campagne lancée depuis la dernière primaire qui se clôturera. Semble t-il dans un soulagement général. Les éditorialistes du « New York Times » s’interrogent : mais « qui a eu la brillante idée de laisser six semaines ouvertes avant les primaires de Pennsylvanie ? » et les tensions au sein du camp démocrate sont plus que palpables, à vif.
De fait ce n’est pas le 21e débat du 16 avril, le premier depuis la double victoire d’Hillary Clinton dans l’Ohio et le Texas qui permettra d’apaiser les esprits. Il a permis au contraire à la controverse « de l’amertume » de prendre une nouvelle ampleur. Voici Barack Obama obligé de s’expliquer sur des déclarations qu'il aurait tenu en Californie face à un parterre de financiers. Selon lui, les frustrations des citoyens des petites villes américaines les conduiraient à « s’accrocher aux armes à feu ou à la religion » voire à développer « de l’antipathie pour ceux qui ne sont pas comme eux. » Une véritable pierre dans le jardin de l’Amérique éternelle, celle du droit au port d’armes et de la foi religieuse. Un rocher dans celui d’Obama alors même qu’il avait construit sa campagne sur l’union des américains et le dépassement des clivages. Ce mercredi soir, Hillary Clinton n’a pas résisté, elle a enfoncé le clou épinglant cet "élitisme." Elle a mis le pied sur le rocher pensant sans doute pouvoir reprendre de la hauteur. Obama semble fatigué, et commetdes erreurs tandis qu'Hillary multiplie les attaques, de plus en plus frontales. Toutefois est-ce assez pour faire oublier ces propres errements et surtout remonter le retard accumulé lors des primaires face à son adversaire.

Cette stratégie semble pour l’instant peu efficace. Une inefficacité marquée en ce qui concerne la course aux superdélégués. Car derrière ce rideau de fumée de polémiques, c’est l’objectif superdélégué qui est désigné. Une campagne médiatique est lancée à chaque ralliement. Celui d’Harry Thomas du district de Columbia en faveur d'Obama n’y a pas échappé. Harry Thomas a même du intervenir. Le camp Obama faisait en effet circuler le bruit qu'ils étaient parvenus à le détourner du camp Clinton, son choix original. Non, selon lui, il était demeuré neutre jusque là.

Les superdélégués indécis, eux, attendent et ne prendront pas de décision à partir des récentes polémiques. Polémiques en série qui n'auraient en fait, que peu d'incidence sur leur choix final. Car comme le rappelle John W.Olsen, délégué du Connecticut non engagé, « nous avons entendu beaucoup de choses sur les gaffes et leur influence sur l’électorat, mais ce qui est réellement important pour les gens c’est comment on va s’occuper de l’économie et créer de l’emploi. »
Les prochaines primaires sont donc essentielles.
Pour le camp Clinton d'abord. Mais il lui faut du temps et on peut s’interroger sur la volonté des responsables du parti démocrate de lui en accorder. La sortie de John McCain critiquant « la condescendance » des propos de Barack Obama laisse présager le pire pour les démocrates. Eux qui paraissent solides sur les thèmes de la guerre, des errements de l’Administration Bush, sur les difficultés économiques, viennent de porter le débat sur « les valeurs ». Et a ce petit jeu, il y a bien moins maladroit qu’un républicain. D’autant qu’on peut s’interroger sur l'état de santé du parti démocrate une fois son candidat désigné. Il s'agira alors d'affronter un parti Républicain qui a eu tout le loisir d'observer, et qui attend de pied ferme un candidat démocrate certainement affaibli par cette campagne interne. John McCain peut être serain, il attend patiemment. Et alors que son camp paraissait à la traîne, le sort de ces élections semble plus serré que prévu.
D'autant que le candidat McCain a même eu le temps de faire un peu de tourisme, parcourant sur un air de vainqueur solitaire les capitales de « la vieille Europe. »


Sébastien Deslandes

mercredi 16 avril 2008

Le CIO malade de ses oublis

A quelques heures de l’olympiade pékinoise, le CIO veut faire croire qu’il s’étonne de l’intrusion du politique dans ses Jeux Olympiques.
Pour cela il brandit sa charte comme un brevet d’innocence et rappelle à ceux qui auraient eu l'outrecuidance d'oublier qu’ « aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. »
Mais il oublie que dans sa course à la si recherchée visibilité mondiale, dans sa quête du succès médiatique et ses prétentions économiques, il a accueilli en son sein les débats politiques. Ces mêms débats qu’il prétend pourtant vouloir laisser sur le seuil de sa porte. Le CIO oublie donc et prend un risque. Celui d'accepter dans ses rangs, parmi ses membres, autant de nations. Celui de croire ceux qui assurent la main sur le cœur, de leur respect des principes fondamentaux de l’olympisme, alors qu'ils font régulièrement la preuve du contraire. Voilà le prix de la construction d’un évènement planétaire. Voici que le CIO doit prendre ses responsabilités et ne plus se cacher derrière le paravent moelleux de l’olympisme.
Certes il faut aussi comprendre ces JO et les principes qui les régulent comme un produit occidental. Ce produit est avant tout la résultante des conceptions que l’histoire et l’Occident ont érigé en fondements indépassables pour leur propre salut. « Le respect des principes éthiques fondamentaux universels » et la notion de « sport au service du développement harmonieux de l’homme en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine » sont quelques unes des valeurs centrales que le CIO désire développer et élever aux rangs des imperturbables.
Or de deux choses l’une, soit les nations membres considèrent qu’il faut au regard du caractère planétaire de l’évènement prendre en compte les différences d'appréciation et de conception pouvant exister entre elles et le cas échéant fait évoluer principes. Soit le CIO prend de plus grandes précautions dans le choix de ses membres et veille plus rigoureusement au respect de ses règles. La responsabilité du CIO est par conséquent engagée.

Il ne lui suffit plus de se plaire à répéter telle une doxa immémoriale, que le sport est et doit être apolitique. Il n'est plus tenable d'assurer que le CIO poursuit sa philosophie olympique : rester "l’avocat de la paix et du respect mutuel entre les nations", car le CIO oublierait encore. Il oublierait qu’il a régulièrement semblé étonné lorsque tout au long de l’histoire des JO, il a ouvert son lit à la politique.
l’Olympisme n’est pas entré en politique depuis le choix de Pékin comme site d’accueil des 29èmes olympiades. Les JO constituent depuis bien longtemps un fidèle reflet de la puissance des Etats et des rapports qui les lient ou les opposent. Depuis 1896 précisément et la naissance des jeux modernes. Les JO ont une dimension politique et il parait difficile de le contester sinon de l’oublier. Son histoire est une litanie d’exclusions punitives, de boycotts, d’affrontements, dont le pourquoi du comment relève d’abord des relations internationales.
Il existe plusieurs raisons à cela. Une raison tout d’abord constitutive et originelle. L’étroitesse du lien entre l’olympisme et la politique, s’il est ténu, s’est d’emblée révélée. En 1894, lors du Congrès International de Paris, en Sorbonne, Pierre de Coubertin et son idéal olympique ne sont pas seuls. Les nationalismes européens sont avec eux. On repassera pour un contexte favorable à la mise en place d'un sport dépassionné, pour assurer des liens pacifiques et raisonnés entre des nations raisonnables. Ce n'est plus l'heure. Or « si le sport n’est pas la cause des nationalismes, il parait pourtant les révéler, voire les exacerber. » En effet, la figure de proue, l'instrument des JO, le sport moderne, est tombé très tôt dans « le filet des idéologies. » Le sport est irrémédiablement une composante, voire le parfait miroir de la vie internationale. Le sport peut être le moyen d’une politique étrangère, l'outil de prestige national d'un régime. Charles Maurras évoquait déjà au lendemain du Congrès de Paris que si « jadis, les peuples fréquentaient les ambassadeurs, maintenant les peuples se vont fréquenter directement, s’injurier de bouche à bouche et s’en…ler de cœur à cœur. La Vapeur qui les a rapprochés ne fera que rendre plus faciles les incidents internationaux. Les Bismarck à venir ont encore de la carrière. »
Certes le CIO n’est pas seul à devoir être incriminé. Comme nous venons de le voir, les Nations, au premier rang de cet évènement, s’en sont toujours peu élégamment ou peu discrètement servies. Pour des raisons de prestige notamment. Le rôle dévolu aux athlètes qualifiés pour les JO est à cet égard symptomatique.
Aux Etats-Unis notamment, ils sont devenus les icônes d’un modèle, les ambassadeurs d’un pays, une armée en campagne à eux seuls. Bravant les tours de piste, la fuite du temps, et autres lois de la pesanteur, ils doivent en commis voyageur du modèle américain remplir de fierté une nation et asseoir leur supériorité physique et intellectuelle sur les autres nations du monde. La première puissance mondiale et son armée surpuissante peuvent-elles envisager, ne serait-ce qu'un instant, de ne pas être également la première nation olympique?
Les Jeux Olympiques de Mexico durant le mois d'octobre 1968 rassemblent une grande partie de ces dynamiques. Restés dans la mémoire collective sous l'image forte du poing levé ganté de noir, défiant le ciel, ils s'avèrent intéressant à d'autres titres.
D'abord parce qu'ils corroborent l’influence des relations internationales et des tensions entre les Nations.
Les JO de Mexico du 12 au 27 octobre c’est d’abord un lourd contexte, des évènements politiques majeurs. Le pasteur Luther King est assassiné le 4 avril, Bob Kennedy le 6 juin. Les chars soviétiques pénètrent dans Prague quand la guerre du Vietnam fait rage et l’offensive du Têt, douter l’Amérique. A cela rajouter une année tumultueuse, peu meurtrière mais particulièrement féconde parmi la jeunesse mondiale, mais aussi un apartheid toujours aussi féroce en Afrique du Sud qui ne cache que mal des maux similaires dans l’Amérique ségrégationnistes.
Les tensions sont donc vives et les douleurs olympiques vivaces. L’Afrique du Sud est exclue en avril sous la pression des délégations africaines qui boycottent tout de même ces Jeux en raison de la présence Néo-Zélandaise et de ses coupables liens avec l’apartheid Sud-Af.
Les JO vont bientôt s’ouvrir, l’espoir renaît à peine : les menaces de boycott des athlètes noirs américains ayant vécu, lorsque sur la place des 3 cultures, à Mexico, les étudiants locaux font leur cinéma. Mais là, si les slogans peuvent être comparés avec leurs alters égo américains ou européens, la répression et le nombre de victimes laissent une place de choix au panthéon des victimes olympiques. Certes la cérémonie d’ouverture en était encore à ses préparatifs, mais c’est bien pour sauver « ses jeux » que le président conservateur mexicain Diaz à envoyer la milice « olympia », chargée de la sécurité olympique sur la place pour laisser dans quelques mémoires le souvenir du « massacre de Tlateloco ». 300 morts et des slogans estudiantins qui fleurissent désormais des tombes. Le Mexique, son régime et son président avaient une image à tenir, un script à respecter, l’histoire d’un Mexique sans histoire, d’un pays sage malgré les voisins bruyants et encombrants. La CIA selon l’espion Philip Agee « aidera ».
Enfin les JO commencent laissant à l’oubli cet instant peu olympique mais qui pourtant en ponctue inconfortablement l’histoire.
Ils s’ouvrent sans délégations africaines, les athlètes noirs seront quand même sur le devant de la scène. D’abord grâce aux légendaires Tommie Smith et John Carlos, sympathisants des Blacks Panthers et du Black power. Ils seront exclus à vie des JO sur recommandations du CIO. Quelques jours plus tard, c’est au tour de 3 autres athlètes noirs américains, Lee Evans, Larry James et Ronald Freeman qui ont réalisé un triplé et montent sur le podium avec un béret noir vissé sur le crâne pour dénoncer le racisme dans leur pays. Ils le retireront dignement pourrait on dire au moment des hymnes. Enfin ce sont une large part des athlètes noirs américains et de leurs compatriotes blancs qui portent sur leur veston un macaron portant celui-là l’inscription claire « Olympic project for human rights. »
Sébastien Deslandes.

lundi 14 avril 2008

Débats entre Michaël Benhamou et Khalil Baroud

Tous deux reviennent sur l'article de Khalil Baroud, "impasse au Liban"
A l'adresse de Khalil Baroud,
Je me permets de revenir sur ton article du 27 mars, "impasse au Liban", qui s'écarte tristement de toute considération de vérité et d'objectivité. Les erreurs sont si nombreuses qu'elles ne laissent aucun doute sur ton parti pris.
C'est d'ailleurs cela qui me dérange: derrière la présentation souvent rigoureuse de faits compliqués, l'on pourrait s'imaginer que ton analyse est aussi froide qu'impartiale... - Selon toi les américains veulent le pétrole et la sécurité d'Israel, rien d'autre. Tu proposes une sorte de mix des meilleures théories de complot présentes sur le site du réseau Voltaire ou d'autres extrémistes du genre. Evitons ces argumentaires populistes et simplistes. Bush voulait la démocratie, parce qu'il espérait un effet domino dans la région. Pourquoi la démocratie? Pour le pétrole? Peut-être, mais surtout parce que la liberté politique conduit à une meilleure gouvernance économique et à l'ouverture libérale des marchés. Plus de démocraties, c'est plus de consommateurs et plus de clients. Tout le monde gagne.
C'est ça la logique US de l'après Guerre Froide. -Tu nous fais croire ensuite que l'axe Hezbollah-Syrie-Iran se crée en réaction à l'intervention US de 2003. Tu parles de "pressions américaines" sur le programme nucléaire iranien: il s'agit de pressions de la Communauté Internationale!! Tu fais semblant, prétextant un manque de preuves, de ne pas voir que l'Iran espère obtenir de bombes nucléaires, semblant de ne pas voir que la Syrie n'est pas derrière ces attentats destabilisateurs contre des figures politiques libanaises, toutes ayant participées au mouvement majoritaire du 14 mars. Cette frivolité te permet de faire passer les Américains comme les "grands méchants loups" et la coalition menée par l'Iran comme une pauvre victime ne cherchant qu'à se défendre, sans agenda de puissance. -
Il y a ensuite quelques "impasses" intellectuelles, quelques oublis dans l'analyse assez commode pour qui veut à tout prix défendre la cause arabe. Aussi le Hamas serait victime d'une "guerre de décapitation", tout cela à cause de l'enlèvement d'un seul soldat israélien, et pour une cause noble de surcroit: la libération des prisonniers palestiniens... C'est oublier que le Hamas tire depuis 2005 des centaines de roquette tous les mois, qu'il ne reconnait pas l'Etat sioniste, qu'il appelle à la destruction de celui-ci, d'ou l'unilatéralisme des concessions israeliennes: désengagement au sud liban (2000) puis à Gaza (2005). Suite à ces deux décisions Israel n'a reçu que des roquettes ou des rançons en cadeau de remerciement. Aussi le cycle de violence continue.
Cela dit, je reconnais bien volontiers que le problème majeur est la colonisation en Cisjordanie. Aujourd'hui 80% des israéliens sont prêts à l'abandonner s'ils étaient surs que cela n'augmenterait pas les risques terroristes. Le mur a été construit pour pallier aux doutes des électeurs(en Israel comme en Irak). Ainsi c'est le même dilemme qui se pose dans toute la région: faut-il faire confiance aux forces et pays islamistes? Khalil le croit sans hésiter une seconde. Bien sur il n'accorde pas le même crédit aveugle aux obscurs complotteurs "néo-conservateurs" qui contrôlent les Etats-Unis et Israel... A mon sens, cela mérite plus d'équilibre.
Michael Benhamou
A l'adresse de Michaël Benhamou,
Avant tout je te remercie d’avoir pris le temps de lire et de répondre à mon article. Ceci dit il y a, à mon sens, pleins de choses à redire sur tes critiques. Je reprendrai donc tes remarques et les commenterai « Bush voulait la démocratie, parce qu'il espérait un effet domino dans la région. Pourquoi la démocratie? Pour le pétrole? Peut-être, mais surtout parce que la liberté politique conduit à une meilleure gouvernance économique et à l'ouverture libérale des marchés. » Je ne suis pas certain que Bush s’intéresse réellement à la démocratie au Moyen-Orient. Son soutien aux régimes les plus répressifs et anti-démocratique du monde arabe comme l’Egypte de Moubarak (30 ans de règne) le royaume d’Arabie Saoudite, le royaume Hashemite de Jordanie, récemment la dictature Libyenne de Kadhafi, la dictature Tunisienne de Ben Ali, le royaume du Maroc, l’autoritarisme de Bouteflika sans compter tout le passé Américain de soutien aux dictatures dans le monde ( Pinochet, Saddam Hussein lors de la guerre Irak Iran, le Shah d’Iran etc.) me laissent sceptique. Les Etats-Unis ont toujours su faire en sorte d’ouvrir des marchés sans pour autant changer les régimes en place et forcer la démocratie. A nouveau je vous rappellerai que l’Arabie Saoudite, l’Egypte, la Jordanie, la Libye, la Tunisie et même la Chine sont tous des marchés ouverts aux Etats-Unis et pourtant restent d’indéboulonnables dictatures. Il faut chercher autre part, je pense, les réels motifs de cette invasion. Je pense avoir proposé dans mon article « impasse au Liban » une lecture à prendre en compte. « Plus de démocraties, c'est plus de consommateurs et plus de clients. Tout le monde gagne. » Et pourquoi pas au final ? Comme ça les Frères Musulmans gouverneront l’Egypte la Syrie, peut-être la Jordanie, et le Hamas restera au pouvoir en Palestine. Mais il faudra rester cohérent à ce moment et accepter le résultat des scrutins. « Tu parles de "pressions américaines" sur le programme nucléaire iranien: il s'agit de pressions de la Communauté Internationale! » Certes mais la question intéressante ici serait de savoir dans quelle mesure les Etats-Unis arrive par divers moyens, pressions et intimidations, à imposer son agenda aux autres membres des Nations Unies. Rappelons que les membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies sont aussi des Etats dont la politique étrangère est déterminée par des intérêts. Le CS de l’ONU n’est malheureusement pas une oeuvre de charité. Sinon de 1990 à 2003, l’embargo (Américain) des Nations Unies sur l’Irak a provoqué la mort de plus de 1,6 millions d’Irakiens. Une étude de la FAO démontre d’ailleurs qu’en raison de cet embargo chaque année 10 000 enfants mourraient pour cause de malnutrition. Je ne pense pas que cet embargo était légitime et juste quand bien même la « communauté internationale » le cautionnait. « Tu fais semblant, prétextant un manque de preuves, de ne pas voir que l'Iran espère obtenir de bombes nucléaires » Et toi et la « communauté internationale », vous êtes certains, malgré un manque de preuves, que l’Iran espère obtenir des bombes nucléaires. Mais à supposer que l’Iran possède un programme nucléaire militaire. Une lecture géopolitique élémentaire expliquerait cette volonté par le fait que ses proches voisins aussi la possèdent (Inde et Pakistan) et parce qu’Israël et les Etats-Unis qui menacent quasi-quotidiennement sa sécurité sont des puissances nucléaires. Pourquoi ces pays auraient-ils le droit d’être « nucléaires » sans aucun compte à rendre à la « communauté internationale » et pas l’Iran ? On a la, je pense, une très belle expression de la politique de deux poids deux mesures de la « Communauté Internationale ». « semblant de ne pas voir que la Syrie n'est pas derrière ces attentats destabilisateurs contre des figures politiques libanaises, toutes ayant participées au mouvement majoritaire du 14 mars » Relis bien ce que j’ai écris. J’explique que les deux bords se jettent mutuellement la responsabilité des attentats. Je prends par contre la peine d’expliquer que au cas ou ça serait la Syrie, ces attentats s’inscrivent dans une logique, et pas seulement parce que, comme essayent de nous le faire croire les grands medias qui relayent uniquement le point de vue du 14 Mars, les Syriens voudraient punir ceux qui les auraient chassés du Liban. Mon idée est que ce qui se passe au Liban est très lié aux bouleversements qui touchent toute la région depuis 2003. Je rajouterai que jusqu’à présent, toutes les enquêtes (Libanaises, Américaines, internationales etc.) n’ont pas réussi à remonter jusqu’aux Syriens. La plupart s’arrêtent à des mouvements islamistes (dont Fatah Al Islam) qui ont eu des liens avec la famille Hariri (tête de file du 14 Mars)... « C'est oublier que le Hamas tire depuis 2005 des centaines de roquette tous les mois » Si le Hamas tire des roquettes sur Israël c’est probablement parce qu’Israël envoie des bombes, torture les prisonniers Palestiniens, encourage la colonisation, ne respecte pas les trêves etc. « désengagement au sud Liban (2000) puis à Gaza (2005). Suite à ces deux décisions, Israël n'a reçu que des roquettes ou des rançons en cadeau de remerciement » Le désengagement de Gaza (en 2005) ne s’est jamais fait pour les beaux yeux des Palestiniens. Un conseiller de Sharon, Dov Weisglass lors d’un interview apparu dans le journal Haaretz, le 8 Octobre 2004 déclare en parlant du retrait: « Ce que nous avons fait vise à geler le processus de négociation. Et, en gelant le processus de négociation, vous empêchez la création d’un Etat palestinien et vous empêchez la discussion sur la question des réfugiés. (...) Le désengagement comporte la bonne dose de formol nécessaire pour qu’il n’y ait pas de processus de négociation avec les Palestiniens. »En 2005, 7000 colons seront retirés de Gaza. En retour 15 000 seront installés en Cisjordanie en plus des 240 000 déjà présents. Sinon pour le Hezbollah, ses revendications ne se sont jamais limité à un retrait du Sud Liban. Il reste la question des fermes de Chebaa, de l’eau du Sud Liban qu’on a pas le droit d’exploiter au dela d’un certain quota, sous peine de subir des bombardements Israéliens, les prisonniers et la violation de l’espace aérien. Tant que toutes ces demandes ne seront pas respectées et que la « communauté internationale » ne fera rien pour protéger le Liban, le Hezbollah estime ne pas être en devoir de remercier Israël. « faut-il faire confiance aux forces et pays islamistes? Khalil le croit sans hésiter une seconde. Bien sur il n'accorde pas le même crédit aveugle aux obscurs comploteurs "néo-conservateurs" qui contrôlent les Etats-Unis et Israël » Tu entends quoi exactement par « forces et pays islamistes » ? Erdogan, Al Qaida, le régime Wahhabite, le Hezbollah ... ? Ce sont les dictatures qui me posent problèmes, pas l’islam. Le terrorisme et le dogmatisme ne sont pas le monopole de ce tu appels les « islamistes ». La Turquie a pendant longtemps été une dictature laïque. Je ne la soutenais pas. Saddam a longtemps massacré et combattu les « islamistes » au nom de la laïcité Baathiste. Je ne le soutenais pas non plus. Le Hamas est arrivé démocratiquement au pouvoir et s’il a recouru à des méthodes terroristes, cela n’a rien à voir avec son idéologie islamique mais pour des raisons profondément politiques. Exactement comme l’OLP qui n’était pas islamiste mais qui a eu recours aux mêmes méthodes. Le Hezbollah est une organisation résistante Libanaise dont les membres siègent au parlement. Que ce soit un parti islamiste ou non ne change rien à sa politique vis-à-vis d’Israël et l’Iran bien qu’islamique reste bien plus démocratique que n’importe quel régime du monde arabe allié aux Etats-Unis et à la France. Je reproche à Thierry Meyssan (directeur du réseau Voltaire) dont tu me reproches de véhiculer les thèses extrémistes, de penser qu’il y aurait une essence Juive portée à essayer de gouverner et dominer le monde. Je fais le même reproche à ceux qui pensent qu’il y aurait une sorte de fatalité socio-historique chez les islamistes à verser dans la dictature et le terrorisme. Quand aux neoconservateurs, je pense avoir expliqué que c’est un groupe de politiciens liés par des intérêts. C’est la projection de leur intérêts au Moyen-Orient et le crise qu’ils ont provoqué qui m’intéresse.
Khalil Baroud.

mardi 8 avril 2008

Quelques remarques à propos de l’Union pour la Méditerranée


De tous les discours prononcés lors du Forum de Paris 2008 sur l’euro-méditerranée, sans doute celui inaugural de Jacques Attali aura le plus réussi à conjuguer le lyrisme propre à un tel sujet et le réalisme que demande un tel projet. L‘auditoire était composé de nombreuses personnalités -diplomates, militaires, chefs d’entreprises, journalistes et jeunes élèves des grandes Écoles- d’origines multiples et variées. Pour la plupart méditerranéens, leur état d’esprit était à la discussion de projets concrets en matière d’échanges commerciaux et financiers. Chacun en allait de sa petite idée, de sa petite ambition. L’Ambassadeur Leroy, désigné par Nicolas Sarkozy pour préparer le sommet de juillet prochain, récoltait les avis et les recommandations des divers participants, avec un esprit pragmatique et conciliant; Tout ceci constitue des signes encourageants. Le projet d’UPM intéresse, voire même passionne et attire beaucoup de monde. Certes, ce sont majoritairement des entrepreneurs et des businessmans, mais pour autant, doit-on le regretter. Si l’on en croit la méthode utilisée par les pères fondateurs de l’Ue, les fonctionnalistes Monet et Schuman, on devrait au contraire s’en féliciter. Reste encore à savoir si tous ces projets prometteurs se transformeront d’ici trois mois en réalisations concrètes. Car comme la très justement souligné Jacques Attali dans son intervention, le projet tant défendu par le Président français, est « une utopie qui reste à faire ».

Reprenant l’expression de son « maître à penser » Fernand Braudel dans la thèse monumentale sur le règne de Philippe II, Jacques Attali estime que la particularité de la Méditerranée réside dans le fait qu’elle « n’est même pas une mer » mais « un complexe de Mers ». Une « illusion » surenchérit-il. Avec une amertume quelque peu audible, J. Attali, né en Algérie, nuance son aspect mythique ou mythologique qui a tant enrichit la poésie classique mais aussi très souvent les discours de chefs d’États avides de nouvelles conquêtes. À ce propos, il rappelle qu’elle n’est nullement à l’origine de la civilisation humaine, qui naît sur le continent africain. Certes, il reconnaît que ce sont sur ces rivages que le monothéisme a vu le jour. Il rappelle également que ce sont des Méditerranéens, des « marins », qui sont à l’origine des grandes valeurs et principes qui régissent nos sociétés actuelles, tant la démocratie pour le politique que le libre-marché pour l‘économie : Les marins « inventent aussi ce qui est nécessaire à l’un et à l’autre, le calcul nécessaire au marché, l’alphabet nécessaire à la démocratie ».

Cela dit, Jacques Attali n’hésite pas à dire qu’en tant qu’unité politique et économique, « il ne faut pas se faire d‘illusions sur les faits, la Méditerranée n’existe plus, si tant est qu’elle ait existé autrement que comme souvenir idéologique ». Il livre à ce propos une série de chiffres très convaincants. De nos jours la Méditerranée compte environ 150 millions d’habitants sur ses côtes. 30 % du commerce maritime mondial transite par cette mer, dont 25 % du transport d’hydrocarbures. Malgré ce contexte favorable, J. Attali dresse un constat accablant de ce que les Méditerranéens font de leur mer : celle-ci, traversée par tant de flux et reflux, ne représente que 11% des échanges économiques mondiaux. Pour le libéral convaincu, « il est hallucinant de penser que les premiers ports de cette mer sont au quarantième ou cinquantième rang mondial ». Pis, c’est aussi un « désastre politique », car finalement très peu des pays riverains ont « rejoints le camps de la démocratie »-« les guerres et les violences sont de plus en plus nombreuses », n’en citant qu’une seule, ancestrale en Palestine. C’est par voix de conséquence un désastre social, si l’on observe « l’écart de 1 à 10 entre le revenu moyen par habitant des pays du nord et ceux du sud ». Enfin, c’est un désastre environnemental : « près de deux tiers des eaux usées des villes côtières sont rejetées dans la Méditerranée sans aucun traitement ». Ces prochaines décennies, alors que la Méditerranée ne représente que 2% de la pêche mondial, ces « invasions biologiques » provoqueront la disparition de certaines espèces maritimes; bientôt dit-il, il n’y aura plus de thon, de merlu, d’espadon ni de rouget.

Dans un avenir plus ou moins proche, nous assisterons selon lui à une disparité démographique croissante : 60 % de la population méditerranéenne sera concentrée sur les rives du Sud. Le surpeuplement au sud ira de paire avec une paupérisation de ces populations. Par conséquent, prévoit-il, se produira une forme de « balkanisation de la Méditerranée »; l’écart de richesses déjà abyssale augmentera davantage, entre un Nord occupé à se « protéger » et un Sud de plus en plus instable et menaçant. Dans ce contexte, les religions monothéistes seront demain plus qu’hier, la source de violences et de nouveaux affrontements. Nous assisterons alors à une sorte de « totalitarisme consensuel dont l’Asie donne quelques modèles ». En somme, J. Attali prévient : « la méditerranée est un modèle réduit du cauchemar qui nous attend, c’est une bombe à retardement sous nos pieds ». Faut-il croire toutes ces prévisions ? Comme le disait Raymond Aron dans son œuvre phare Paix et Guerre entre les nations, « laissons à d’autres, plus doués pour l’illusion, le privilège de se mettre par la pensée au terme de l’aventure »[1].

Il n’empêche que l’ensemble de ces indicateurs portent les pays concernés à agir. Dans ce sens, J. Attali l’admet : le processus de Barcelone a été un « échec car trop concentré sur un conflit en particulier ». Barcelone a été un échec car ce processus était davantage fondé sur ‘’l’octroi’’ du nord au sud que sur une « coopération », unique moyen d’aboutir à une union pérenne. Un échec car il était trop politique et « ne concernait pas assez la société civile, les entreprises » mais bien souvent « les comptes en Suisse ». Aujourd’hui, face à ce nouveau projet d’UPM, J. Attali termine son intervention par dévoiler quelles seraient les véritables conditions d’un « marché commun méditerranéen ».

Tout d’abord la résolution des contentieux territoriaux du Sud, ceux du Maghreb et du Moyen-Orient, car pour ne citer que Braudel, « le commerce comme la paix est une affaire de proximité ». D’autre part, selon lui, ce projet devra avoir pour moteur les villes. L’UPM n’a de chances d’aboutir que si elle encourage des projets « villes à villes ». De cette façon, grâce à ces nouvelles dynamiques urbaines, des ports comme celui de Tunis et de Tanger pourront se développer. L’idée de coopération intercommunale existent déjà au sein de l’Union européenne. Peu de gens le savent, puisque ce sont des projets locaux qui mobilisent peu de personnes et donc peu de ressources. C’est sans doute ce qui fait le secret de leurs réussites. Et pour J. Attali c’est cette méthode, le fonctionnalisme des pères fondateurs fondé dans un cadre local, que l’UPM doit emprunter. De cette façon, ce projet deviendra la parfaite continuité ou plutôt la juste prolongation méridionale de ce qui se fait déjà sur le continent. Alvaro Vasconcelos, Président de l’Institut d’études de sécurité de l’Ue, Emma Bonino, Ministre italien des Affaires européennes et du Commerce internationale et André Azoulay, Conseiller du Roi du Maroc insistent beaucoup sur cette vision d’union sectorielle, qui puisse non seulement favoriser les échanges interurbains du Nord vers le Sud, mais aussi et peut-être en premier lieu les échanges « sud-sud ».

Quant aux priorités dont devra se charger l’UPM, J. Attali souhaite le rétablissement de l’état de droit en Méditerranée, tant en matière de normes environnementales, que de lutte contre la criminalité organisée. Cela demande un cadre politique et opérationnel, soit des institutions et une police. Mais alors, J. Attali de s‘interroger : « où trouvez l’argent pour faire tout cela ? ». L’ancien conseiller de Mitterrand répond par la création d’un « nouvel impôt » méditerranéen, fondé non pas sur la contribution des pays riverains, ce qui reviendrait à la situation initiale du processus de Barcelone, soit « l’octroi », mais un impôt fondé sur « la taxation des transits » en Méditerranée. Sur les chances que ce nouvel impôt réussisse à s’imposer il répond, avec une pointe d’ironie : « je ne connais pas beaucoup de bateaux qui préféreraient faire le tour de la Méditerranée plutôt que de payer pour la traverser ».

Sinon, peu de choses sur les réelles intentions que la France nourrirait à travers ce projet; presque rien sur les raisons de la controverse entre Paris et Berlin. Excepté les propos tenus par l’Ambassadeur d’Algérie en France, d’accord avec l’idée que « cette démarche vise à ramener l’axe de gravité de l’Europe vers le sud » et donc à concurrencer la place centrale de pivot qu’occupe actuellement l’Allemagne au sein de l’Ue, entre le front slavoriental d’un côté et celui occident-atlantique de l‘autre. On voudrait nous faire croire, que toutes ces querelles de chapelles sont derrière nous, dépassées ! Le Secrétaire d’État Monsieur Jouyet, lors du discours de clôture, est revenu sur les critiques de la presse, -d’un projet d’union méditerranéenne revu à la baisse, refondé dans l’ancien processus de Barcelone- et s’est demandé pourquoi diable qualifier cette dernière version un « échec », alors qu’il rassemble désormais l’ensemble des pays de l’Ue ?! Cela ne trompe personne, la confrontation géostratégique, qui se déroule sous nos yeux et au sommet de l’Ue entre Paris et Berlin est bien réelle. Ceci constitue certainement une tendance lourde; certainement le résultat de l’attentisme et des faux-semblants de la décennie « Chirac-Schroder ». Quand beaucoup -à l’instar des Italiens- seraient d’accords avec le principe d’UPM mais contraires à l’approche française, les Allemands eux, se sont sentis directement trahis. C’est-ce que disent les diplomates allemands à Bruxelles, c’est-ce que laisse entendre la Chancelière Merkel dans ses récents discours. Comment a-t-on pu imaginer un seul instant qu’un tel projet puisse se faire sans l’Allemagne ? Comment a-t-on pu croire qu’une telle ambition puisse aboutir sans la consultation préalable et la contribution de nos voisins d‘outre-rhin. Y compris dans les moments les plus tragiques de notre histoire commune, lorsque Hitler s’acharnait au mois d’avril 1945 à défendre l’indéfendable, quitte à plonger son pays tout entier dans les décombres causés par les bombardements alliés, le général De Gaulle admettait à la radio le 25 avril : « Les philosophes et les historiens discuteront plus tard des motifs de cet acharnement, qui mène à la ruine complète un grand peuple, coupable certes, mais dont la raison supérieure de l’Europe déplorerait qu’il fut détruit[2] ». Alors on me répondra : "c'est exagéré !". Mais nous ne le répéterons jamais assez : la relation franco-allemande est depuis plus de 50 ans pacifiée. Si depuis, le Président Sarkozy a corrigé sa stratégie ainsi que la dénomination de son projet, il n’empêche que ses premiers pas en politique européenne ont démontré une faible conscience historique et une vision du future irréaliste, car rien, rien n‘est possible pour l‘Europe sans passer par la porte de Brandebourg, et réciproquement. Comme rien de grand n’est envisageable pour la France sans passer par les portes de l’Europe. De nos jours, il est inenvisageable que la France compose sans l'Allemagne, au niveau européen comme au niveau international. Comme le soulignait Hubert Védrine dans son intervention au Forum de Paris, avec l’UPM, « il ne s’agit pas de bâtir une union concurrente mais qui s’insère dans l’Ue », soit une relance, un renouvellement du processus de Barcelone sur de nouvelles bases. Il faut donc se féliciter de cette évolution. De tous les participants du Forum de Paris, chacun aura pu prononcer et entendre les mots d‘« euro-méditerranée » pour qualifier le nouveau projet d‘initiative française. C’est un bon réajustement de la diplomatie française et en même temps une nouvelle promesse d’émancipation de l’Ue en Méditerranée.

Aurélien Cassuto

[1] Raymond Aron, Paix et guerre entre Nations, Calmann-Lévy, 1984, p. 770.
[2] Charles De Gaulle, Mémoires de guerre, Le Salut : 1944-1946, Plon, 1959, p. 190.

jeudi 27 mars 2008

Impasse au Liban

C’est pour le 20 avril qu’est reportée pour la 17ème fois la réunion parlementaire censée déboucher sur l’élection d’un nouveau président libanais.
Saisir les enjeux de ces reports nécessite avant tout la compréhension des origines du climat de tension et de méfiance qui règne actuellement au Liban. Pour cela deux éléments sont à prendre en compte : premièrement, l’invasion américaine de l’Irak en 2003 dans le cadre d’un projet plus global et, deuxièmement, le vote par le Conseil de sécurité des Nations Unies de la résolution 1559.

L’invasion américaine de l’Irak de mars 2003 :

Il ne fait plus de doute aujourd’hui que l’arrivée des Américains en Irak ne s’est pas faite dans le but de diffuser la « démocratie » au Moyen-Orient, de détruire les soi-disants armes de destruction massive (ADM) de Saddam Hussein ou en raison des prétendus liens entre Al Qaida et le régime baathiste. Il est établi aujourd’hui que toutes ces raisons n’étaient que des prétextes avancés par l’administration Bush dans le but de créer une atmosphère de panique et de hâter un débarquement massif de l’armée américaine dans la région.

La politique des Etats-Unis au Moyen-Orient est aujourd’hui plus que jamais déterminée par deux grands axes :
1- La protection des intérêts du complexe militaro-industriel et pétrolier.
2- La sécurité d’Israël.

Les deux grands groupes de pressions et laboratoires d’idées aux Etat-Unis, représentant ces deux axes par l’intermédiaire du « courant néo-conservateur », n’ont d’ailleurs jamais aussi bien été représentés dans une administration américaine que dans celle de Bush.

Rappelons que le vice-président Dick Cheney était l’ancien PDG de Halliburton et membre de l’organisation « Jewish Institute for National Security Affairs » (JINSA), tout comme l’ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, également membre de l’organisation « Center for Security Policy » (CSP) et du « Project for a New American Century » (PNAC), que le supposé « architecte de la guerre en Irak », Richard Perle, était aussi membre du JINSA et du PNAC, pour ne citer que quelques unes des organisations qui soutiennent ouvertement le Likoud israélien. Sans compter que le sous-secrétaire à la Défense Douglas Feith était ancien procureur de la compagnie militaire Northrop Grumann et que Paul Wolfowitz, l’ancien vice-secretaire à la Défense était membre du PNAC et ancien conseiller à la compagnie militaire Northrop Grumann, etc.

L’invasion américaine de l’Irak s’est faite dans le cadre d’un projet plus large et régional. Un jour appelé le projet du « Grand Moyen-Orient » GMO un autre le projet du « Nouveau Moyen-Orient » (NMO).
Quelle que soit la finalité précise de ce -projet, une chose est certaine, c’est qu’il a pour principal objectif de renforcer l’emprise des Etats-Unis sur l’ensemble du MoyenOrient : sur son pétrole, sur ses marchés, et donc sur ses régimes. Il passe donc logiquement par la neutralisation de toute organisation ou Etat qui pourrait faire obstacle.

Un axe farouchement opposé se constituera à partir de cette date, composé de l’Iran, de la Syrie, du Hezbollah et du Hamas.

L’Iran, signataire du Traité de non prolifération nucléaire TNP est soumise, depuis le 23 décembre 2006 et suite aux pressions américaines, aux résolutions 1737, 1747 et 1803 des Nations Unies qui engagent des sanctions, sous prétexte que l’Iran posséderait un programme nucléaire militaire (démenti récemment par les rapports des services de renseignements américains). Il est d’ailleurs curieux de noter qu’Israël et le Pakistan, qui possèdent tous deux des armes nucléaires et ne sont pas signataires du (TNP) et ne subissent pas les mêmes contraintes.

Le Hamas subit jusqu’à aujourd’hui une guerre de décapitation de la part d’Israël, suite à l’enlèvement le 26 juin 2006, du soldat israélien Gilad Shalit dans le but de négocier la libération d’une partie des quelques 10 000 prisonniers palestiniens incarcérés en Israël.

Le Hezbollah aussi, en juillet 2006, a subi une guerre d’éradication similaire suite à la prise en otage de deux soldats israéliens, dans le but de les échanger contre des prisonniers libanais en Israël, dont Samir Kuntar incarcéré depuis 1979. Mme Condoleeza Rice n’a pas manqué de qualifier cette guerre, qui a provoqué la mort de plus de 1200 civils libanais et déplacé plus d’un million de personnes, de « douleur d’enfantement du Nouveau Moyen-Orient ».

Reste la Syrie.

La Syrie est aujourd’hui directement accusée par la communauté internationale de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri ainsi que de tous les attentats qui ont lieu au Liban depuis le 14 février 2005. Un Tribunal pénal international a été mis en place dans le but d’enquêter et de prouver la responsabilité syrienne.

La résolution 1559 :

Le vote de la résolution 1559 marque le début du volet libano-syrien du projet américain au Moyen-Orient.

Quelques mois avant l’assassinat de Rafic Hariri, la résolution 1559 du Conseil de sécurité demandait le retrait des troupes militaires syriennes du Liban, qui se fera quelques mois plus tard. Cette résolution marque la fin du feu vert que les Etats-Unis avaient donné à Damas suite à l’alliance qui les avaient réunis contre l’Irak lors de la guerre du Golfe en 1990. La 1559 exigeait aussi le désarmement de toutes les milices libanaises, en particulier le Hezbollah et les Palestiniens, implicitement visés.

C’est à partir de cette date que débute la série d’attentats qui frappe Liban et autour des origines desquelles, deux logiques s’affrontent.

D’une part, l’opposition, appelée aussi le mouvement du « 8 Mars », réunissant les pro-Syriens ou les anti-Américains, selon les médias consultés, composé essentiellement du Hezbollah chiite et du Courant patriotique libre majoritairement maronite du général Michel Aoun, ainsi que de toute une série de petits partis locaux.

D’autre part, les loyalistes, aussi appelés, la majorité parlementaire, le mouvement du «14 Mars », les anti-Syriens ou les pro-Americains, encore une fois selon les medias, composé du Courant du futur sunnite de Saad Hariri, fils de l’ancien Premier ministre assassiné, du Parti socialiste progressiste druze de Walid Joumblat et des Forces libanaises maronites de Samir Geagea, ainsi qu’une nébuleuse de petits partis et de notabilités féodales locales.

Les loyalistes accusent l’opposition d’être téléguidée par l’Iran et la Syrie, responsable selon eux de tous les attentats, sans pour autant réussir, jusqu’à présent, à trouver aucun indice impliquant les accusés, de s’opposer au Tribunal pénal international sur l’assassinat de Rafic Hariri et de chercher à restaurer l’ancienne tutelle syrienne sur le pays.

L’opposition, pour sa part, accuse les loyalistes d’être les alliés libanais du projet américain dans la région, et d’être impliqués dans les attentats qui frappent le pays depuis 2005 dans le but de fournir des prétextes afin de faire pression sur la Syrie et le Hezbollah. Les loyalistes sont aussi accusés d’avoir collaboré avec les Etats-Unis et Israël lors du conflit qui opposa Israël au Hezbollah en juillet 2006 et de leur avoir confisqué des armes et ceci en violation d’engagements électoraux.

En effet lors des élections législatives de Juin 2005 une entente avait été établie entre le Hezbollah et les loyalistes assurant, le soutien et la protection par ceux-ci du Hezbollah, qualifiée « résistance nationale Libanaise» et non « milice ». Ce détail permettait notamment d’extraire le Hezbollah des exigences de la résolution 1559.

En décembre 2006, quelques mois après le vote par le Conseil de sécurité des Nations Unies de la résolution 1701, qui mettra un terme à un mois de guerre, les ministres Hezbollah quittent le gouvernement et drejoignent le général Aoun ans l’opposition. Ils appellent à la constitution d’un nouveau gouvernement dans lequel l’opposition aurait le tiers des ministres, disposant ainsi d’un pouvoir de blocage en attendant les prochaines élections législatives censées se dérouler en 2009.

Les loyalistes refusent de céder sous prétexte que le tiers de blocage demandé paralysera le pays et empêchera la poursuite de l’enquête internationale sur les assassinats.

Le président de la chambre (opposition) bloquera, en réponse, l’activité politique du pays en empêchant toute réunion du Parlement.

La Constitution prévoit la réunion automatique du parlement, une fois le mandat d’un Président terminé, car rappelons-le, au Liban, l’élection du Président ne se fait pas au suffrage universel mais à la majorité parlementaire, et la formation d’un nouveau gouvernement. Le mandat du président Emile Lahoud ayant prit fin en décembre 2007, le Parlement ne parvient pas à se réunir pour élire un candidat consensuel en l’occurrence Le général Michel Suleiman.

Il est prévu que, pour que le vote soit légal les 2/3 des députés doivent être présents. Or l’opposition, possède un peu moins de la moitié des parlementaires et refuse de voter tant qu’elle n’aura pas les garanties que les principales instances du pays (la sécurité intérieur, conseil des ministres, etc.) ne passeront pas entièrement aux mains des loyalistes.

Une fois de plus le Liban est embourbé dans un engrenage qui ne semble pouvoir se terminer que par la victoire d’un camp sur l’autre. L’histoire est pourtant riche d’exemples imposant le compromis comme seule solution viable.
Pourtant la crise au Liban ne semble pouvoir trouver de débouché que, par un règlement global du bras de fer qui oppose les Etats-Unis et Israël d’un coté, la Syrie et l’Iran, principaux soutiens au Hamas et au Hezbollah de l’autre, ou alors par une nouvelle guerre entre le Hezbollah et la coalition Israélo-américaine qui changera radicalement le rapport de forces plutôt équilibré actuellement au Liban, thèse de plus en plus plausible selon nombreux analystes.
Khalil Baroud.

mardi 18 mars 2008

Témoignage d'une auditionnée de la Commission sur les évolutions du métier d'enseignant, présidée par Marcel Pochard

Le 4 février, la commission présidée par M. Pochard a remis son rapport sur la condition enseignante au ministre X. Darcos. Après plusieurs mois d’auditions, ce livre vert dresse un état des lieux et lance quelques pistes d’évolution.

Une première partie est entièrement consacrée au « portrait des enseignants à l’aube du XXIème siècle ». Les constats sur les conditions de travail, la vie professionnelle, le malaise enseignants n’appellent pas à contestation, mais illustrent bien ce qu’on a pu ressentir au cours des auditions ou tables rondes. Le rapport ignore les facettes multiples que recoupent le métier d’enseignant de la maternelle au lycée (fonctions, lieux d’exercices, publics d’élèves….). En revanche, il met l’accent particulier sur les aspects de gestion des personnels, de fonctionnement des structures, de rémunération, en pointant surtout les collèges et lycées.

Sur cette première partie, le SE-UNSA ne retrouve pas dans cette description le regard transversal qu’on était en droit d’attendre dans un travail de cette ampleur sur notre métier.
Dans la deuxième partie, un certain nombre de pistes sont explorées, peu de conclusions sont tirées. La commission est restée majoritairement prudente dans ses propositions à l’exception de certains points.les travers constatés dans l’état des lieux se retrouvent vite dans les axes développés. Le développement de l’autonomie des établissements est largement abordé : une plus grande autonomie pédagogique est préconisée sous l’égide du chef d’établissement avec notamment une partie de la DHG contractualisée entre l’établissement, le rectorat et les collectivités. Le rôle du chef d’établissement serait alors accru, lui permettant sur la base d’un contrat avec les personnels d’organiser les modalités de travail.

La commission Pochard préconise aussi de reconnaitre dans les obligations de service les différentes missions des enseignants : le cœur de métier qu’est l’enseignement mais aussi des activités dites indissociables (travail en équipe, orientation et accompagnement des élèves). L’évaluation des enseignants, la mobilité (parcours de carrière) et la revalorisation sont aussi approchées dans ce rapport. Des comparaisons sont faites avec le fonctionnement des établissements privés, l’enseignement agricole…La commission évoque une gestion des ressources humaines à « rebâtir », l’institution devant relever le défi du qualitatif !
Après ce rapport, maintenant, ce qui importe pour le SE-UNSA c’est ce que le ministre va en retenir et proposer dans son livre blanc, base attendue de négociation avec les syndicats. Le SE-UNSA portera à nouveau ses revendications pour une meilleure reconnaissance de notre métier.


Dominique Thoby, secrétaire nationale de SE-UNSA

U.S elections- Portrait de John Mc CAIN



John Mc Cain : No country for old men ?

A 72 ans, John Mc Cain est l’homme politique le plus populaire des Etats-Unis… avec Barack Obama, 47 ans. Comparant ces deux chiffres, l’affaire est presque jouée pour The Economist qui parlait récemment d’une campagne chanceuse de « John », dont le succès chez les Républicains serait immérité, et perdu d’avance face au « cool kid »[1]. David Brooks du New York Times parle lui d’un homme qui parait 80 ans, suite à des cicatrices provoquées par un récent cancer de la peau, opposé à un candidat afro-américain séduisant qui fait plus jeune que son âge.

Fort heureusement la société et la vie politique américaine ne se résument pas à un épisode de Nip Tuck ou à un clip « esthétique » de Britney Spears. C’est bien au contraire pour ses cicatrices et ses handicaps que Mc Cain est respecté et aimé par la foule: il ne peut pas (par exemple) soulever les bras plus haut que sa tête en raison de tortures subies au Vietnam lors de cinq années de captivité. Les sondages ont d’ailleurs commencé à grimper le jour ou Hillary Clinton fit une contribution maladroite de quelques millions de dollars au festival hippie de Woodstock. Lui fit remarquer qu’en cette belle année 1969 il essayait de survivre dans un camp nord-vietnamien[2].

Malgré les épreuves, le personnage est resté optimiste, sympathique. Sa présence répétée dans des talk-shows hilarants, quoique risqués pour les invités comme celui de John Stewart[3], est appréciée à juste titre. Ses positions sont claires, cohérentes, énoncées avec charisme et humour et sans prétention. Relativement basiques, ces quelques observations nous paraissent essentielles pour comprendre une élection présidentielle qui se joue en partie sur la personnalité. Meghan, la fille de Mc Cain, l’a parfaitement intégré puisque son blog[4], véritable récit interne des coulisses de la campagne, a été visité par des millions d’électeurs américains ! Comme en 2004, la toile jouera un rôle décisif.

Sur le fond, les analyses sur Mc Cain ne manquent pas… si on sait déchiffrer l’anglais ! Car en France et en Europe le vétéran-héros fait moins rêver qu’un certain B.O. Pourtant ses idées ont de quoi plaire tout autant, voire plus, à une large majorité du vieux Continent : Mc Cain se prononce pour la signature du protocole de Kyoto, pour l’amnistie progressive des 12 millions d’immigrés illégaux ; il est peu apprécié par les religieux pour son manque de ferveur sur le thème de l’avortement, modéré sur les questions fiscales, pour le maintien actuel du libre-échange, c'est-à-dire contre l’inquiétante vague protectionniste qui gagne les Etats-Unis et ses deux candidats démocrates, enfin pour une vraie « alliance des démocraties »[5] qui se démarque nettement de l’unilatéralisme imprudent de George W. Bush.

Mc Cain est un pragmatique qui pourrait néanmoins déplaire aux chancelleries européennes sur les questions moyen-orientales : il est pour le maintien sans échéance des troupes américaines en Irak et se pose en farouche opposant du régime iranien et à ses ambitions nucléaires. L’incertitude internationale en 2008 devrait décider de son sort : une nette dégradation militaire en Irak le mettrait dans une position électorale impossible. Si au contraire un acte terroriste de grande ampleur, une révélation sur la bombe iranienne ou une guerre entre Israël et ses voisins (de plus en plus pressentie) surgissaient ces prochains mois, nul doute que son autorité et son expérience le mèneraient à la Maison Blanche. La crise économique est une autre variable majeure : lui-même reconnaît ne rien savoir sur le sujet.

A huit mois du scrutin, la bataille Clinton-Obama dans le camp adverse lui laisse le temps de séduire la base conservatrice de son parti et de choisir un Vice Président assez jeune et talentueux pour pouvoir lui succéder dans quatre ans… car John Mc Cain est vraisemblablement l’homme d’un seul mandat. Il le déclare souvent à mi-mot, et aura même bientôt l’occasion de le dire au Président Sarkozy qui, fidèle au précèdent mitterrandien, fait mine de se saisir de la même idée…

Le jeune homme, chef d’Etat d’une vieille nation, ferait bien d’écouter les recettes d’un vieux monsieur, négligé à tort, et qui n’est franchement pas décidé à prendre sa retraite[6].

Michael Benhamou




[1] Cf numéro du 1 mars 2008, p.48
[2] http://www.youtube.com/watch?v=8zQX2T8ZGAw. Débat républicain, fin octobre 2007
[3] http://www.thedailyshow.com/video/index.jhtml?videoId=85762&title=sen.-john-mccain-pt.-1
[4] http://www.mccainblogette.com/
[5] Cf Foreign Affairs « An Enduring Peace Built on Freedom », numéro de novembre/ décembre 2007
[6] Référence au film exceptionnel des Frères Cohen, No Country for old men, 2008.

mercredi 5 mars 2008



NIRTA est allé à la rencontre de Vérone. Retrouver nos impressions et notre reportage dans "Rencontre avec l'Europe".

mardi 26 février 2008

"Le sang de nos ennemis est toujours le sang des hommes. La vraie victoire, c'est de l'épargner" (Louis XV au Dauphin, le 11 mai 1745)

C’est sous le sceau de cette sage maxime que le colonel Vincent Desportes plaça son ouvrage Comprendre la guerre publié en 2001[1], un ouvrage qui, a posteriori, prend une importance significative, tant les six années qui se sont écoulées depuis sont venus valider la plus puissante de ces intuitions, à savoir, la nécessité, banale et classique mais qu’on ne répétera jamais assez, de penser la complexité de la guerre ainsi que son caractère d’incertitude[2] à partir de point de repères intemporel dégagés de l’étude de l’histoire militaire. Historien militaire, Vincent Desportes, entre temps promu général de division, n’est pas que cela : Saint-Cyrien, officier de l’arme blindée, commandant un régiment de chars après une carrière opérationnelle alternant affectations en unité de combat et en état-major, il est aussi ingénieur, diplômé en sociologie et gestion d’entreprise, breveté de l’Ecole supérieure de guerre. Le général Desportes a aussi fréquenté, comme bon nombre de stagiaires militaires français, le War College dont il est diplômé. Un parcours qui mêle donc action et réflexion et qui devait logiquement l’amener à diriger le Centre de Doctrine d’Emploi de la Force, la ou l’on pense la guerre et la fatalité de sa nécessité dans le monde des hommes.


La disparition de l’empire soviétique marqua à coup sur l’une des ruptures stratégiques les plus déterminantes de ce vingtième siècle d’acier. La progressive formation des Etats Nations européens sur les ruines de l’empire romain, sur la dislocation du pouvoir temporel du Saint Empire romain germanique, et sur la faillite du pouvoir spirituel de la Papauté, les amena, mécaniquement sinon laborieusement, à accepter l’instauration d’un équilibre des forces qui bon an mal an, permis à l’Europe de ne plus connaître les atrocités des guerres de religion et de la guerre de Trente ans (excepté la période révolutionnaire de 1792 à 1815). A partir de 1648 le système westphalien des guerres limitées assura au continent un équilibre qui lui permit de se lancer dans la formation des grands empires coloniaux. L’unification de l’Allemagne en 1871 provoqua, après l’épopée napoléonienne, une première fissure dans le fragile équilibre européen. Arriver bien tard dans le système international, face à une France revancharde mais « berné » par l’aventure coloniale et face à une Angleterre puissance mondiale, principale axiome de l’équilibre des forces, le Reich allemand, le royaume italien et l’empire japonais se devaient de trouver des débouchées à leur forces économiques et des espaces pour rassasier leur esprit de conquête dans une ambiance historique baignant dans le militaro-nationalisme. C’est cette situation qui poussa l’Allemagne en Europe (le Japon en Asie) à mettre en place une domination impériale : par deux fois il faudra l’intervention de la république américaine et celle de l’empire soviétique en 1945 pour réassurer l’équilibre des forces en Europe.

Parallèlement à cette montée en puissance et du déclin géopolitique de l’Europe, la guerre à présentée son inéluctable caractère cyclique oscillant entre les guerres limitées et les guerres totales tel que le vingtième siècle à pu s’en faire l’incarnation[3]. L’apparition du feu nucléaire fit comprendre aux décideurs le non sens politique d’une guerre totale qu’on ne pourrait plus limités à l’âge de l’atome : l’utilisation d’armes tactiques, à condition qu’elles permettent la décision sur le champ de bataille, était néanmoins hasardeuse car, dans le cas contraire, s’opérerait l’inéluctable passage à l’utilisation des armes stratégiques, synonyme, non pas de fin de l’humanité mais d’un saut dans « le vide historique ».
La guerre froide imposa une bipolarité militaire qui tranchait avec une multipolarité économique. Quelle sera la distribution de la puissance militaire au XXI siècle ? Quelle sera le visage de la guerre à une époque où l’opinion publique n’accepte formellement celle-ci que lorsqu’elle est juste ? Aurons nous droit à de nouvelles grandes guerres livrés au nom de principes métaphysiques (comme l’avait prévu Nietzsche pour le XX siècle) ou bien à des combats lointains et obscurs qui, malgré l’âge de la globalisation de l’information, ne concerneront qu’émotionnellement les citoyens français et européens, ramenant ainsi la guerre dans une « ère ou de petites armées professionnelles conduisaient de petites guerres professionnelles »[4] ?


Crise et gestion de crises.

La rupture géostratégique que fut la désintégration de l’Union soviétique gênera la nécessité conceptuel de repenser tant le système international (après la bipolarité de la guerre froide, uni ou multipolarité géostratégique ?) que le sens, le(s) forme(s) et l’utilité de la guerre ; nécessité et difficulté conceptuel que le général Poirier n’allait pas tarder à qualifier de « crise des fondements »[5].

Quelle soit uni ou multipolaire, la structure du système international reste essentiellement anarchique en l’absence de Léviathan mondial et cela malgré la puissance de feu de l’empire américain. Ni paix ni guerre, ni ordre ni chaos, le monde depuis 1989 est en proie à des luttes de puissance mondiales entre les différentes unités politiques, certaines œuvrant pour le statut quo, d’autres plus intéressait par sa remise en question. Cette complexité post guerre froide génère ainsi une instabilité chronique incarné par une violence dont les manifestations planétaires (Bosnie, Haïti, Rwanda) interrogent les décideurs politiques occidentaux quand à leur « capacité d’interpréter, de prévoir et de maîtriser une violence propre à un monde qui n’est plus bipolaire »[6].


Cette irruption de la violence, à l’âge de la globalisation des flux financier, d’information et des moyens de communication (dont la violence qui est une forme de langage[7]), à l’intérieur et à l’extérieur des frontières des Etats, nécessita une nouvelle conceptualisation de la violence planétaire. Dans le spectre des formes de guerre, dont l’alpha est la guerre totale et l’oméga, la guerre limitée, émergea le concept de « crise », nouvelle horizon mentale des nations occidentales. Pour celle-ci la crise est l’éclatement d’un conflit dit de « basse intensité », circonscrit dans l’espace et dans le temps, dont il va falloir gérer les possibles perturbations géopolitiques. Cette nouvelle configuration des manifestations de la violence qui interagissent dans le système international, induit une interrogation sur l’efficacité des modalités d’emploi de la force tel qu’il fut organisait depuis un demi siècle.

En effet la grille de lecture héritée de la guerre froide, hiérarchisant les conflits (nucléaires, conventionnels et « mineurs »), permet elle encore aux décideurs politiques de penser la guerre au XXI siècle ? A cette question le général anglais Sir Rupert Smith répond par la négative. Dans son ouvrage encensé par la critique[8], L’utilité de la Force. L’art de la guerre aujourd’hui, l’ancien commandant en second de l’OTAN en Europe annonce la fin des « guerres industrielles (conventionnelle puis nucléaire) entre grandes unités politico-militaire, transformé en « guerre au sein des populations », changement conceptuel et paradigmatique nécessitant une refonte complète du système d’organisation des forces armées, sans quoi les occidentaux ne pourront pas accéder à la compréhension de l’utilité de la force ainsi qu’a sa juste utilisation.
D’où le constat suivant : d’une part, l’anarchie[9] du système international reste aujourd’hui une réalité que « la glaciation nucléaire » entre 1945 et 1989 avait relativement apaisait, car, si elle empêcha « une guerre du Péloponnèse atomique », elle n’en fut pas moins le théâtre d’éclosion d’une autre forme de guerre, que l’on retrouve encore aujourd’hui dans divers théâtres d’opérations : le combat « irrégulier » de guérilla dans une dynamique de guerre révolutionnaire, phénomène d’une mutation de la violence politique armée que l’anthropologue René Girard explique par le délitement du rituel de la guerre[10], délitement provocant une métamorphose ; d’autre part, cette transformation de la guerre (dans ces formes non dans son essence) induit une transformation dans la façon d’employer la force et donc dans la façon de faire la guerre. Double constat que semble partager le général Desportes, venu le 19 décembre 2007 nous livrer, dans le cadre du séminaire de géostratégie de l’Ecole Normale Supérieure, sa réflexion sur la gestion des crises politico-militaire et, par voie de conséquence, sur la doctrine d’emploi de la force dans l’armée française.


Penser la guerre

Pour Clémenceau la guerre était une affaire trop sérieuse pour être laisser aux militaires. En filigrane de cette citation, que paradoxalement le général Desportes aurait pu faire sienne, nous retenons surtout la nécessité pour une nation, qui se veut et se pense en sujet historique, d’impliquer le plus grand nombre de citoyens dans les affaires politico-militaire, permettant ainsi à la société civile d’apporter au débat une alternative intellectuelle antinomique d’un confort conceptuel qui, trop souvent, guette les nations voulant toucher, de manière a historique, les dividendes de la paix . Le processus historique faisant de l’Occident l’un des centres sinon le centre de la puissance militaro-économique, permet à l’Europe, aux Etats-Unis et à ses alliées de se percevoir conceptuellement comme un « centre », avec autour une « périphérie » dont il s’agira de canaliser les irruptions de violence susceptible de se propager dans l’espace temps. Le général Desportes voit donc dans l’intervention armée, une inéluctable nécessité pour les unités politiques cherchant à créer une « profondeur stratégique » garante de leur rang de puissance. C’est donc la notion de guerre qu’il va falloir repenser. Pour le directeur du CDEF la guerre n’a pas changée : elle est plus que jamais « la poursuite de la politique par d’autres moyens », évidence caractéristique de la sagesse des nations plutôt que du génie clausewitzien. La nature de la guerre est elle aussi immuable : un duel armée entre deux volontés politiques. La ou un changement s’est opérait c’est dans l’identification des acteurs qui mènent ce duel : jadis entre deux unités politiques, la guerre oppose aujourd’hui, dans bien des cas, une unité politique à un embryon d’unité politique en gestation, souvent au « stade » terroriste ou « partisan ». S’inspirant du concept du général anglais Smith, le général Desportes parle de « guerre au sein des populations », nouveau paradigme succédant à celui de « guerre industrielle » impliquant des unités politico-militaires. Afin d’expliciter ce nouveau paradigme et pour démontrer que la guerre vise toujours la poursuite d’objectifs politiques, le général Desportes préconise une réflexion centré sur six points majeurs :
Le premier point concerne le changement de paradigme de la guerre : celle qui opposait des unités politico-militaires n’est plus, à horizon visible, envisageable. L’ascension aux extrêmes de la violence humaine permis par la société industrielle rendit caduque, pour les membres de celle-ci, la résolution à moindre coût, des conflits de puissance, atteignant ainsi les limites de la guerre industrielle. L’ère nucléaire confirma cette tendance en interdisant, sous peine d’apocalypse, la confrontation atomique ; mais, parce que les Etats sont des monstres froids et parce qu’ils sont tous à la recherche de la puissance et de la sécurité au regard de leurs capacités respectives, Raymond Aron pouvait écrire qu’à l’ère de l’atome, « c’est la guerre qu’il faut sauver, autrement dit la possibilité d’épreuves de forces armées entre les Etats »[11]. D’où la nécessité, au début de la seconde guerre mondiale, de trouver de nouvelle forme d’affrontement organisant la confrontation des menaces (soviétique pour l’Occident, thermo-capitaliste pour l’URSS) sans que celle-ci n’emprunte l’ascension de la roche apocalyptique : ce sera, tout au long du XX siècle, la guerre conventionnelle limitée, puis subversive, psychologique et enfin au XXI siècle, la guerre au sein des populations.
Le deuxième point abordait par le général Desportes concerna la place du nucléaire dans l’appareil de défense nationale français. Le changement paradigmatique rendant désuet à première vue la conservation d’un force de frappe nucléaire dans le cadre d’une guerre au milieu d’une population, l’on pourrait s’interroger sur son utilité. Mais l’auteur de Comprendre la guerre souligne bien son caractère cyclique en mettant en garde contre la croyance dans le caractère définitif des opérations de maintien de la paix et nous invitant à ne pas oublier, d’une part, qu’on ne dés-invente pas la bombe, et d’autre part qu’ « il serait bien imprudent de regarder l’avenir et l’évolution des forces armées à travers le seul prisme étroit et déformant des opérations de la dernière décennie »[12]. Par conséquent, la doctrine officielle de l’armée française semble être de veiller à ne pas construire un modèle d’armée unique fait pour combattre au milieu des populations, mais de mettre en place un équilibre capacitaire (note) lui permettant d’affronter un adversaire symétrique ou asymétrique.

Le troisième point permit au général Desportes d’évoquer la nécessité de penser la guerre comme une « épreuve de volonté » qui se meut désormais dans « le temps long », pour reprendre l’expression de Fernand Braudel, et non plus dans « le temps court » jadis réglait par la bataille décisive, système susceptible de trancher les différents de manière rapide et clair au prix d’un affrontement d’une violence extrême désignant sans ambiguïté le vainqueur et le vaincu. Ce verdict politique de la bataille décisive appartient maintenant au passé, à la guerre industrielle. La victoire militaire ne suffit plus à instaurer le but stratégique de toute politique : « une » paix, devenue atteignable uniquement à travers la mise en place d’une stratégie intégrale[13] déployant à la fois le hard power et le soft power, gagnant la bataille et conduisant à la paix. Cette guerre au sein des populations est un tout autre paradigme qui nécessite d’autres concepts, d’autres schémas mentaux, d’autres règles d’engagement. Désormais la poursuite des fins politiques que visaient la guerre ne passe plus uniquement par la bataille, grande ou petite, mais par la progression dans le cadre d’un « continuum » de la guerre[14].
Dans le cadre de ce processus évolutif, on trouve une dialectique d’intervention s’articulant autour de trois phases : tout d’abord l’intervention ou les soldats engagés sur le champ de bataille doivent user de la force afin d’établir un ordre fondé sur un succès militaire tactique indispensable. Il s’agit de neutraliser les belligérants adverses de telle manière à ce que les méthodes employées, définies en fonction des buts stratégiques, permettent au succès tactique d’opérer sa transition vers la phase de stabilisation. Cette phase est la plus décisive car il s’agit de transformer l’ordre fondé sur la force armée, perçu comme étrangère par les populations, en ordre fondé sur le droit d’un Etat restauré. Cet ordre constitue le succès stratégique que vise la direction politique, c'est-à-dire l’établissement d’une paix voulue durable dans le cadre d’un nouveau contrat social. Pour cela, le contrôle total de l’aire géographique en question est primordiale afin de contenir le plus possible « les contre violences » des adversaires, que la défaite lors de la phase initiale n’a pas convaincu de déposer les armes, et pour accompagner les « forces sociales » (groupe d’individus lié par diverses solidarités) qui, issues de la population, cherchent à améliorer le quotidien de leur concitoyens au milieu desquelles la guerre se déroule, puis de travailler à la mise en place des diverses institutions garantes de l’ordre social. Troisième et dernière phase, la normalisation constitue le retour à la paix, fin ultime de toute politique.
Pour résumer, la première phase serait l’incarnation du déploiement de la force, la seconde de la sécurisation et du contrôle, la troisième de la paix. Ce schéma est un modèle théorique, un cadre mental permettant de fixer des repères pour l’utilisation de la force et nullement une potion ou une recette gagnante. Son application dogmatique ignorerait le caractère contingent de la guerre[15]
Quatrième point, quel est la fin politique dans la guerre au sein des populations ? C’est bien évidemment la restauration ou l’instauration de l’état de droit permettant la préservation des intérêts de l’unité ou des unités politiques « stabilisatrice ». La réalisation de la fin politique dans une guerre au sein des populations n’est plus uniquement conditionnée par la victoire militaire et/ou le contrôle territorial, mais par la conquête de la population, nouveau « centre de gravité » des unités politiques. L’enjeu est de faire prendre conscience aux populations, que le plus important ce n’est pas la politique ou le combat politique que mènent certains de leur concitoyens, mais leur propre sécurité, leur propre confort, et que cette sécurité et ce confort ne pourront être garantit que par un contrat social qui nécessite pour un temps, et un temps seulement, la présence de troupes étrangère sur le territoire.
Le cinquième point évoquait par le général Desportes concerne le lieu de la guerre, ou plus précisément, le lieu ou s’opère la victoire tactique et le succès stratégique, c'est-à-dire au milieu des hommes, au sol dans des milieux urbanisé : un environnement qui permet à l’adversaire de contourner la puissance de feu en organisant des actions asymétriques. La guerre au sein des populations nécessitera d’agir puis de contrôler des zones difficiles d’accès
celui-ci n’est plus seulement un agent de la destruction. Le soldat reste un tueur professionnel. Mais, si dans la guerre au sein des populations il garde cette capacité, il doit néanmoins en acquérir d’autres. Cette « équilibre capacitaire », expression que le général Bruno Cuche utilise pour la programmation opérationnelle des armées, et que nous reprenons pour le soldat, pourrait se résumer ainsi : le soldat devra désormais s’approprier à la fois les buts dans la guerre, qui consiste à neutraliser les belligérants (première phase) et le but de guerre[16] visant une « nouvelle » paix passant par la sécurisation de la population, la restauration des institutions et d’un contrat social, pour aboutir au but ultime : l’état de paix.
Questions


C’est la fin de l’armée de l’air ?

La situation de l’armée de l’Air est critique et doit être restructurée. Bien sur, cela ne signifie pas sa fin pour autant : elle reste pertinente au début des opérations interarmes.
La Marine fait face aux mêmes problèmes : durant la guerre froide, son but était de détruire la flotte russe en haute mer, évidement cette menace est tombée.
L’armée a deux missions de destruction : une conventionnelle et une nucléaire. La position de l’armée de l’air et de la marine à évoluer en terme de centralité : auparavant, le nucléaire était au centre (tir nucléaire stratégique et puis, en amont, il pouvait même y avoir un tir nucléaire préventif) : l’armée de terre, dans ce système de défense mis en place par De Gaulle avait un rôle périphérique : se faire détruire en Allemagne et faire couler assez de sang pour légitimer une intervention atomique contre les soviétiques. Aujourd’hui l’arme atomique dissuade de l’improbable, et l’armée de terre dissuade du probable. Donc l’armée de terre regagne en centralité et la Marine et l’armée de l’Air ont une position d’appui. Elles conservent également un rôle important pour tout ce qui est logistique, transport vers des théâtres d’opération lointains et difficilement accessibles. Les Anglais ont même procédé à la dénucléarisation de leur aviation : en France, l’Air va payer cher le livre blanc sur la défense.

1)Peut on parler, dans cette dialectique d’engagement, d’une politisation (accru) de l’emploi de la force dans ce paradigme de la guerre au sein des populations ?
Nous redécouvrons que la guerre est un outil politique et pas seulement une affaire tactique : il faut redonner une substance politique à nos stratégie. La tactique était pensée sans adversaire, du fait de la prégnance des modes de pensée américains en la matière. Les américains lisent Clausewitz mais ils ne pensent pas à la guerre de voisinage, ils n’ont expérimentée que la guerre totale : lors de la guerre de Sécession, que ce soit entre Lincoln et son général en chef Ulysse Grant, ou entre Jeff Davis et le général Lee, le militaire plongé dans la guerre, et le politique absorbé dans les relations diplomatico-stratégique, sont certes des sphères qui communiquaient mais qui n’en étaient pas moins séparés : les chefs militaires des deux camps avaient une grande marge de manœuvre. En effet, ce sera sans consultation des autorités politiques que le général Lee capitulera à Appomattox. La guerre est donc menée de manière compartimentée : la partie technique d’une part et, d’autre part, la politique qui reprend ensuite ses droits. Durant la première phase, la politique laisse carte blanche à l’armée. Or, le fondement de la stratégie, c’est d’être face à quelqu’un d’identifié ; la guerre a par ailleurs une finalité politique. Cette identification de l’ennemi et le caractère politique de l’action armée, l’Europe en a l’expérience : elle doit donc réaffirmer son droit à la maîtrise politique de l’outil militaire, ce qui fait partie de sa culture.
2) Est-ce que les ouvrages de Mao, De la guerre prolongée, et celui du colonel Trinquier, La guerre moderne, vous ont-ils aidé au CDEF a pensé la guerre au sein des populations ?
On relit en effet Trinquier, Mao et même Galula : le concept de mouvement en trois temps de Mao est particulièrement intéressant. Cependant, l’ennemi révolutionnaire n’est pas le notre : il est systémique, a besoin de se regroupé, est vulnérable avec ses bras armé : le notre est au contraire fragmenté.
3) Vous êtes l’auteur de Comprendre la guerre dans lequel on sent l’ombre imposante de Clausewitz qui structure votre ouvrage, que vous cité abondamment mais que vous cité dans la traduction anglaise. Que reprochez-vous à la traduction française ?
C’est du au fait que j’étais au Etats-Unis lorsque j’écrivais cet ouvrage.

Certaines batailles débouchent sur un verdict incertain qui n’est pas partagé par les belligérants : le verdict de la guerre sans fin pose problème. La guerre sans fin est elle une défaite pour les démocratie moderne occidentale ?

Je suis pessimiste, car ce sont des batailles qui ne se règlent pas par la force : Smith a posé ce paradoxe : on a nécessairement besoin de l’emploi de la force, mais on ne peut pas régler un problème avec ! On peut arriver à un résultat technique, mais il ne sera pas politique pour autant. Des actions de prévention doivent être menées, mais la défense et la protection doivent resté au centre de la problématique militaire : le problème viens de l’affaiblissement de la démocratie par la communication.

Est-ce que ce diagnostique peut être porté sur la question israélienne ?
On en arrive au modèle ni paix ni guerre, qui assure un taux de violence accrue. C’est ce qu’avait analysé Aron lors de la guerre froide, et que nous retrouvons au Kosovo. Le but actuel de l’armée, c’est de s’en sortir. Mais on ne peut que mal terminer ce qui a été mal commencé : les Européens se sont lancés dans une guerre qui n’était pas nécessaire, et qui l’est devenue pour des raisons qui n’ont rien a voir avec celle qui l’ont motivée. Pour dénouer le problème, les Européen vont créer un couloir sanitaire pour pacifier momentanément la région. Concrètement on est de plus en plus proche de la fin.

En côte d’Ivoire : le but était de pacifier militairement la région pour replacer dans le champ du politique le règlement de la question et créer ainsi les condition d’une solution politique .En Irak, la situation est bien différent..En Afghanistan, le but était d’éradiquer la drogue et les bases arrières du terrorisme : les deux n’ont jamais été aussi forts ! Les occidentaux ne maîtrise que les zones « utiles » (grands axes…), pas le reste du pays…A chaque fois la phase de stabilisation s’éternise : est ce que l’Occident a été défait ? Peut elle accepter sa défaite ?
Cela suppose de s’interroger sur l’unité du bloc occidental : L’important n’est pas tant ce que nous sommes que la manière dont on peut être perçu : beaucoup critique cette vision globalisante, mais dans les yeux des Irakiens, les européens sont du côté des Américains, et, pour avoir longtemps vécu aux Etats-Unis, je peux attester d’une réelle communauté de culture. De ce fait, l’idée d’un défaite généralisée sur ces différents théâtres d’opération militaire serait désastreuse pour nous également : même si nous n’avons pas participé aux opérations, même si nous ne sommes pas directement impliqué, nous sommes débiteurs des dettes américaines.


La guerre préemptive doit elle faire partie de la stratégie militaire ?
Sur cette question il y’a beaucoup de travaux juridiques qui ont été écrits pour savoir si c’était légal. La jurisprudence joue également un grand rôle : les américains ont désormais bien moins de poids pour empêcher les Turcs de pénétrer dans le Kurdistan depuis qu’ils sont allés préventivement en Irak ! Il s’agit d’un engrenage dangereux dans lequel nous n’avons pas le droit de nous lancer. Il faut faire attention au pouvoir médiatique qui somme d’intervenir face à certains conflits.


L’armée doit elle participer à la formation militaire sur place ?
Bien sur : et elle le fait déjà au Kosovo et en Côte d’Ivoire. Il faut qu’elle réforme les armées sur place pour donner aux populations les moyens de faire la paix, et leur permettre de mieux l’accepter.


La certitude qui se dégage de cette intervention du général Desportes, c’est le sentiment que la guerre n’a pas changé. Cette guerre au sein des populations, reflet de la vision conceptuel des occidentaux, puise ses sources sinon ces références chez de très nombreux auteurs diverses et variés : les théoriciens de la « petite guerre » (c'est-à-dire la guérilla) comme les français Le Mière de Corvey, Gallieni, Lyautey ou les allemands van Dekker et Clausewitz ; le chinois Mao Tse-Tong et son important ouvrage De la guerre prolongé[17], le vietnamien Giap ou les français spécialiste de la contre-guérilla Roger Trinquier et David Galula[18].
Autre caractère présent depuis la guerre froide, la perte de repère net entre la paix et la guerre qui existait à travers la bataille décisive : celle-ci livré et gagné, le vaincu acceptait la paix du vainqueur ; dans le cas contraire celui qui fut préalablement vaincu se métamorphose pour pouvoir vaincre ultérieurement dans le cadre d’une guerre prolongé : une décennie ou deux, voir plus, seront alors nécessaire à la conduite de la paix à travers le continuum de la guerre. Cette longueur de la guerre au sein des populations avant d’arriver à un résultat politique viable, pose le problème du lien entre la métropole et ses forces armées. Celle-ci combattent ne nous y trompons pas pour la métropole. Mais est ce que les métropoles sont préparées à ce genre de conflit ? L’impatience qui les caractérise est elle compatible avec la nécessité d’une action longue ? Les sociétés européennes ou l’on s’intéresse de moins en moins aux questions de défense parviendront elles néanmoins à générer, ensemble, une nouvelle conscience de sujet historique en tant qu’ « être stratégique » ? Paradoxalement, ironiquement ou par une ruse de l’Histoire, les peuples européens devrait être eux aussi des « centres de gravité » à reconquérir pour leur propre gouvernement (l’étant déjà pour les unités politiques adverses) car sans leur libre consentement il ne peut y avoir de Stratégie intégrale européenne faisant de l’Europe un pôle de puissance sur et d’équilibre pour un monde qui, à vingt quatre siècles de distance, entend toujours raisonner la sage et sinistre voix de Platon : « Il existe toujours, pour tout les Etats, un état de guerre continuel envers les autre Etats. (…) Car ce que la majorité des hommes appellent paix, ce n’est rien qu’un mot ; et de fait, selon la nature, il y a toujours, pour tous les Etats contre tous les Etats, un état de guerre non proclamé par la voix du héraut »[19].

[1] DESPORTES Vincent, Comprendre la guerre, Paris, Economica, 2001, p.
[2] Un concept que le général Desportes analyse dans son ouvrage Décider dans l’incertitude, Paris, Economica, 2004, 199 p.
[3] Vincent Desportes, Comprendre la guerre, op.cit. , p 147.
[4] Ibid, p 168.
[5] Lucien Poirier, La crise des fondements, Paris, Economica, 1994, 186 p.
[6] André Glucksmann, « Les conflits d’après guerre froide », Stratégique, www.stratistic.org.
[7] André Glucksmann, Le discours de la guerre, Paris, Grasset, p 141 : « La guerre n’a pas de sens, elle a une fonction. Par elle, les individualités historiques (peuples, cultures) et les personnes (consciences) communiquent ».
[8] Le général Bruno Cuche, Chef d’état major de l’armée de terre estime que c’est un ouvrage révolutionnaire (voir préface du livre, p IX). Pour Javier Solana, c’est « un livre qui nous aide à comprendre comment fonctionne la politique » (voir quatrième de couverture). Quand à Pierre Hassner il estime ce livre comme étant « capital »pour comprendre l’évolution des rapports entre la sphère politique et la sphère militaire (Le Monde daté du mardi 3 octobre 2007).
[9] Etant entendu que nous considérons l’anarchie, non pas comme la manifestation et le déchainement de la violence aveugle, mais comme une situation laissant libre cours à la hiérarchisation des Etats selon leurs capacités respectives permettant à certains d’entre eux de transformer leur force en droit.
[10] René Girard, Achever Clausewitz, Paris, Carnets Nord, 2007, p 26.
[11] Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmnn-Lévy, huitième édition, 2004, p 626.
[12] Vincent Desportes, Comprendre la guerre, op. cit., p 3.
[13] Lucien Poirier, Stratégie théorique II, Paris, Economica, 1987, p 113-116. Par stratégie intégrale, le général Poirier entend une « théorie et pratique de la manœuvre de l’ensemble des forces de toutes nature, actuelles et potentielles, résultant de l’activité nationale, elle a pour but d’accomplir l’ensemble des fins définis par la politique générale ». Cette stratégie intégrale se décompose en trois stratégies : économique, culturelle et militaire.
[14] Expression de David Jablonsky qui détient la chair de stratégie au sein de l’US Army War College. Cité par Vincent Despportes, Comprendre la guerre, op. cit. , p 129.
[15] « L’action de guerre revêt essentiellement le caractère de la contingence. Le résultat qu’elle poursuit est relatif à l’ennemi », Charles de Gaulle, Le fil de l’épée et autres écrits, Paris, Plon, 1994, p 151. L’action de guerre est donc caractérisé par la contingence mais aussi par l’incertitude (à la page 146, celui qui n’était encore que le capitaine de Gaulle écrivait : « L’incertitude marque notre époque »), autre concept développé par le général Desportes.
[16] Distinction clausewitzienne classique entre le but dans la guerre (Ziel) et le but de guerre (Zweck).
[17] Livre très important car, dès 1938, Mao conceptualise la dialectique d’engagement en évoquant notamment la phase de stabilisation comme étant la plus importante pour les insurgés chinois luttant contre les japonais ; il évoque aussi les efforts des japonais pour stabiliser la situation « à l’aide d’artifice tel que l’organisation de gouvernement fantoches », Ecrits militaires de Mao Tse Toung, Edition en langues étrangères , Pékin, 1964, p 240-251 (Les trois étapes de la guerre prolongée).
[18] David Galula, Contre insurrection, Paris, Economica, 2007, 213 p.
[19] Platon, Lois, in Œuvres complètes, vol 2, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1950, p 637


Mehdi BOUZOUMITA