jeudi 31 janvier 2008

la fin de la publicité: entre diversion et fausse bonne idée

« Réfléchir à la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques »
On peut s’interroger sur le sens à donner à cette proposition devant un parterre de journalistes et face aux responsables des médias de France. On peut un instant, se demander après quels objectifs Nicolas Sarkozy pouvait courir en faisant pareille annonce. Une idée toutefois.
Empêtré depuis quelques semaines dans des débats interminables sur les difficultés à relancer le pouvoir d’achat, il est renvoyé à ses propres limites pour rompre cette quadrature du cercle, lui l'énergique pragmatique. Or son annonce de supprimer la pub sur France TV a fait bondir. Car face à lui se trouvaient les plus sensibilisés par cette mesure. Car devant lui se tenaient ceux qui demain feront l’information et sa hiérarchie.
En ricane t-il encore lorsque le soir venu, il grimpe dans son lit élyséen. Toujours est-il que considérant l’importance prise par les médias, qui plus est dans la « République de Sarko », sa proposition a réussi à faire couler des sueurs froides à tous ces protagonistes. Mais n’était-ce pas le but recherché ? Quoi de plus malin que de taper du point sur leur table. Une table, celle des médias, sur laquelle la question de la publicité dans l’audiovisuel public couvait en arrière cour depuis un moment. Sans remonter à la présidence de François Mitterrand et à son refus de 1981 de trancher la question, sans évoquer la nouvelle indécision suivant la proposition de son premier ministre M.Rocard, contentons nous des derniers éléments.

Tout aurait commencé à la fin du mois d’août dernier. Une conférence de presse de rentrée, un président, Patrick de Carolis, et une volonté affichée, encore : sortir le groupe « du sous financement chronique. » Il avance deux scenarii possibles. La hausse de la redevance télé (116 € par an) ou l’introduction d’une nouvelle coupure de publicité dans les émissions dîtes de flux. (Divertissement, variété, magazine) Levées de boucliers et réactions hostiles des syndicats de la presse professionnelle suivent. L’argumentaire des syndicats tient en deux lettres envoyées à Nicolas Sarkozy. Ils pointent principalement le risque de déstabilisation du marché publicitaire français. Or pour une presse qui perd déjà de l’argent cela prend les traits du simple désastre. Entre 2001 et 2006, elle a en effet accusé une perte de 290 millions € de son chiffre d’affaire publicitaire. Ce bilan, elle le doit notamment à la concurrence de la presse gratuite et de l’Internet mais aussi à la possibilité pour les chaînes de télévision de vendre des espaces à la grande distribution. C’en était sans doute trop pour la presse. Les propositions du président de France TV leur ont fait craindre un nouveau transfert des annonceurs vers l’audiovisuel public. Pourtant elle peut compter sur un soutien de poids et de circonstances. Les chaines privées. En tête de cette hostilité privée on trouve les chaînes de la TNT et en fer de lance, le président de BFM TV, Patrick Weil. Ce dernier y est d’alors allé de sa petite lettre au président Sarkozy. Une lettre ouverte dans laquelle il affirme que « l’absence de déstabilisation du marché publicitaire figurait dans la loi en tant que critère de sélection » la TNT. Grand prince, il fait même des propositions en faveur de l’audiovisuel public ne mettant pas en péril, qui plus est, le groupe des hostiles. Pour lui c’est simple, il faut augmenter la redevance et passer de l’analogique au numérique. Cette dernière mesure reviendrait à réaliser une « réduction de la facture de 60 à 120 millions € par an. »
Un front de l’hostilité s’est donc constitué. Il peut également compter sur TF1 et M6. Sous les traits chevaleresques des défenseurs « des petits » de la TNT, ils prennent position et arguent que le surcroît de recettes publicitaires pour France TV s’élèveraient de « 20 millions » (M6) à « 60 millions » € prises à la TNT.
En définitive, la proposition de Nicolas Sarkozy lors de cette conférence consomme bien la défaite de Patrick de Carolis. Il a perdu son bras de fer et est désormais contraint non pas « au grand écart » mais « au cirque de Pékin ».
Le candidat Sarkozy était pourtant favorable à l’introduction d’une coupure de publicité. Dès lors sans prêter le flanc à la théorie du complot et aux amitiés industrielles du président Sarkozy, plusieurs éléments inquiètent.
D’abord selon la règle économique de l’offre et de la demande, les tarifs publicitaires grimperont allègrement. On peut concéder à TF1 et à M6 qu’ils connaissent déjà un taux de remplissage proche de 90%. Ils semblent donc dans l’impossibilité d’absorber l’ensemble du volume publicité revenant dans l’arène. Cette mesure ne va donc pas chambouler leur quotidien voire leur avenir. Néanmoins soyons surs qu’elles ne sont pas hostiles à l’augmentation du cours de leur titre boursier. (Le lendemain de l’annonce TF1 prenait 12%)
En fait les grands bénéficiaires seront certainement les chaînes de la TNT. Dans une certaine mesure toutefois car les annonceurs choisissent aussi d’acheter des espaces sur France TV pour toucher les catégories sociaux-professionnelles supérieures. Dès lors le regain de forme et d’avenir pourrait aussi être à concéder à d’autres médias. La radio mais aussi la presse nationale et régionale ainsi que l’Internet feront certainement partis des grands bénéficiaires.

Gageons que P.Weil, président de BFM TV, sera cette fois favorable aux bouleversements du marché publicitaire. Quand bien même ils remettraient en cause les critères de sélection des chaines de la TNT. Ceux ne participeront pas à l’élan de joie sont certainement à chercher du côté de France TV. La précipitation avec laquelle l’opération a été lancée par l’Elysée pose la question des possibilités de transformation du groupe public. « C’est quelque chose qui va se faire assez vite » prédit Guéno. On parle d’après les municipales. Une vitesse d’exécution a priori antinomique du mammouth public. Supprimer la publicité aussi rapidement ne reviendra t-il pas à condamner le groupe ? N’est-ce pas le meilleur moyen de perdre tout financement capable d’acheter la retransmission d’évènements, sportifs notamment, c’est-à-dire ceux qui peuvent fédérer le public ? Car c’est bien 4h de programmes en plus qu’il va falloir produire. On peut certes disserter sur les quelques avantages. Les émissions nocturnes le seront un peu moins. A 8 minutes de pub en moins par heure, vous pourrez en effet regarder votre émission habituellement programmée à 1h30 à partir de 0h30. Un peu court.
En réalité la question est aussi de savoir si la suppression sera totale ou partielle. Car pour compenser le coût financier, la proposition présidentielle de taxer les revenus publicitaires des chaînes de télévision privées et les abonnements Internet et de téléphonie mobile risque de ne pas suffire. Une vision finalement optimiste. Ce pourrait aussi être Bruxelles qui stoppera en amont la machine avant même son entrée en gare. Sera-t-elle d’accord avec ce mode de taxation du privé vers le public. N’est-ce pas en contradiction fondamentale avec la directive européenne qui prévoit et incite à une deuxième coupure publicitaire dans les films. Une possible douche froide en perspective?

La fin de la publicité sur France télévision peut compter sur de nombreux avocats, mais aussi sur de supposés exemples qui marchent. Le cas du modèle Britannique et de la BBC est utilisé chaque fois qu’il faut démontrer la magie d'une chaîne sans pub. Toutefois préservons-nous de toute fascination. Certes si vous regarder les chaînes de la BBC vous ne trouverez pas de publicité et pourrez regarder de belles fictions, de grands documentaires et vous émerveiller de la qualité des chaînes internationales. Un modèle du genre. Mais après cet instant de béatification, prenez le temps de vous délassez devant la qualité des programmes de la BBC1. Vous constaterez que c’est d’abord la télévision réalité qui nourrit les programmes et finalement l’audience. Après quelques recherches vous comprendrez que ce grand ensemble table aussi sur les ventes sur le marché internationale de la société commerciale de la BBC. Ses ventes sont un succès et ses émissions hautement culturelles ont pour nom « le maillon faible » ou « qui veut gagner des millions ». Faire une BBC en France ce pourrait donc aussi faire beaucoup de télévision réalité. Serait-cela la protection de la mission de service public ?
Sébastien Deslandes

mercredi 30 janvier 2008

Le département, un vrai problème

Débattre de la proposition 260 du rapport Attali.

Il s’agit d’un vrai problème. Siégeant à l’hôtel de ville, à l’hôtel de métropole, à l’hôtel de département et à l’hôtel de région, nous avons à Rennes quatre assemblées votant l’impôt. Avec l’Etat, cela fait en France cinq niveaux de fiscalité quand le populeux Japon ou l’immense Brésil n’en ont que trois. Manifestement, il faut faire quelque chose.
Comme en 1790 lors de la création des départements, les prises de position de nos élus trouvent leur source dans les réflexions de la haute administration. L’histoire de la journée de cheval n’était à l’époque qu’un écran de fumée, hélas pas encore dissipé. Les géomètres de 1790 qui mûrissaient leur projet depuis 1780 sont arrivés à leur fin : découper le royaume, ou du moins la province, en neuf régions de neuf départements de même superficie, en plaine comme en montagne. Il fallait alors trois jours à un citoyen de Trégastel ou Locquirec pour se rendre à Quimper, chef-lieu de son département. Nos cinq départements bretons ainsi qu’une quinzaine d’autres furent eux-mêmes divisés en neuf districts de neuf cantons, eux aussi de même superficie. A défaut de pouvoir toucher aux limites des paroisses nouvellement érigées en communes, il a fallu parfois pour se rapprocher de la bonne superficie cantonale regrouper des communes non contigües. On en trouve plusieurs cas en Ille-et-Vilaine, enfant modèle de la Révolution naissante.
Depuis au moins soixante ans, et avec une foule de variantes individuelles, notre haute administration hésite entre deux positions.
La plus fréquente considère qu’il ne doit y avoir qu’un seul échelon entre la commune et l’Etat. L’idéal serait pour elle 2000 grosses communes et 45 gros départements. A défaut de pouvoir fusionner les communes, on pourrait leur donner statut de simple quartier au sein de quelque 2000 ou 3000 communautés. Prenant acte du fait que l’on n’a eu de cesse depuis 1969 de renforcer les départements et accessoirement les régions dans leur découpage actuel, l’on se contenterait d’articuler ces deux échelons sans y toucher. C’est le sens de la réforme de la carte judiciaire : un tribunal de grande instance par département et une cours d’appel par région. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres…
La position minoritaire, ayant inspiré les lois Pasqua et Voynet et inspirant aujourd'hui les conclusions de la commission Attali, est qu’il y a place pour deux échelons entre les actuelles communes et l’Etat. D’une part des agglomérations plus vastes que les agglomérations actuelles et récupérant nombre de compétences communales – elles auraient entre 60.000 et 500.000 habitants – d’autre part des régions « fortes et peu nombreuses ».
Toute la question est de savoir ce que deviendraient dans ce second dispositif les actuelles compétences départementales. Il est question dans le rapport Attali de certains transferts non précisés à la région et le département a beau jeu de s’y opposer en arguant de sa plus grande proximité. Il a entièrement raison, mais il doit reconnaître que le principe de proximité - déjà évoqué avec quelque hypocrisie en 1790 comme on l’a dit plus haut - appellerait de plus petits départements. Quelle proximité en effet dans un département écartelé entre plusieurs villes, Brest et Quimper, Vannes et Lorient, Rennes et Saint-Malo, Nantes et Saint-Nazaire, Rouen et Le Havre, Bayonne et Pau, Dunkerque et Maubeuge, Moulins, Vichy et Montluçon ? Neuf nouveaux départements sont apparus en France depuis 1790 par démembrement des anciens. Jean-François Gravier en 1949 voulait porter à 332 le nombre des chefs-lieux de département, composant 19 régions. Le Commissariat au Plan en 1964 s’est aidé pour la répartition des équipements concernant la population d’une partition du territoire en 202 unités aptes y pensait-on à remplacer les départements. Un rapport demandé par le Général de Gaulle allait en ce sens. En se contentant de parler d’agglomération – ce qui n’est pas dénué de sens car il n’est de développement rural qu’en symbiose avec la ville – le rapport Attali est passé à côté de l’essentiel : ces agglomérations peuvent être le département de demain et c’est bien vers ces entités, comme y invite déjà la loi de 1992 pour les dépenses sociales, que doivent être transférées le plus clair des actuelles compétences départementales. .
Il faut bien voir à ce sujet que ce que nous appelons en France décentralisation n’est que de la centralisation rapprochée. Ainsi les équipements d’intérêt régional, universités, CHU, routes de grande circulation, restent de la compétence parisienne. Les régions ont en charge les lycées ou les hôpitaux, équipements d’intérêt local. Les départements ont en charge l’aide sociale ou les collèges, équipements disséminés dans les chefs-lieux de canton… Au nom d’une vraie proximité, de plus petits départements pourraient très bien gérer hôpitaux, lycées, et le reste. Bien entendu, ils auraient besoin pour cela d’une expertise régionale.
Notre ouest armoricain nous fournit un bon exemple d’articulation grande région petit département avec la justice – la cour d’appel de Rennes débordant la région administrative et les départements comptant plusieurs tribunaux de grande instance – avec la presse – Ouest-France ou Le Télégramme ont des éditions infra-départementales – et peut-être demain France 3 Ouest.

En 1969, le rapport du préfet de région sur les grandes orientations du 6e plan se fondait sur une division de la Bretagne en une quinzaine de « pays ». Deux ans plus tard, le CELIB alors présidé par René Pléven prônait une Bretagne elle aussi divisée en une quinzaine de « pays » associant les villes et la campagne. Nous n’avons fait depuis cette date que nous empâter. Alors demain, aurons nous assez de punch pour construire une Bretagne de quinze département ?

Loeiz Laurent


Ancien directeur de l'Insee-Bretagne,
Il a publié "la fin des départements" aux presses Universitaires de Rennes (2002)

Addio Professore Prodi

Elu avec seulement 24 000 voix de plus que la coalition adverse de Centre-Droit, la Gauche italienne, rassemblée sous une seule bannière depuis les dernières élections législatives de 2006, souffrait depuis son arrivée au pouvoir, d’une très faible majorité au Sénat. Cela s’est logiquement vérifié par le départ du ministre de la Justice, Clemente Mastella, qui après tant de critiques à l’endroit de Romano Prodi, mit ses menaces à exécution en démissionnant de son poste après rappelons-le l’interpellation de son épouse et de certains de ses proches collaborateurs, pour une énième affaire de détournement de fonds publiques. Au-delà de ces accusations, qui ne font du reste que confirmer le caractère corrompus des responsables politiques italiens, le gouvernement Prodi II est donc tombé par la volonté d’un seul de ses membres.

Clemente Mastella était effectivement le leader d’un des partis de la coalition prodienne. Cela dit, l’Udeur (originaire de la fraction des Démocrates chrétiens), ne représentait qu’un seul pourcent de l’électorat italien. Précisément, la majorité du gouvernement Prodi ne tenant qu’à un fil (plus exactement grâce à trois Sénateurs), le retrait de Mastella aura réussi à mettre le gouvernement Prodi en minorité et à ce que le Sénat italien n’accorde pas le vote de confiance que le Président du Conseil lui avait demandé.

Depuis maintenant plus d’un an et demi, en plus de devoir faire de la comptabilité avec ses ministres pour chacune de ses décisions, Romano Prodi devait systématiquement rentrer dans une bataille d’idéologies, devoir justifier le moindre de ses faits et gestes et savoir surtout réconcilier les contraires, c'est-à-dire rassembler sur un même agenda politique et sur un même programme de réformes les Communistes-Stroskistes d’un côté et les nostalgiques de la monarchie savoyarde de l’autre. « Mission difficilement possible », comme le soulignait avec beaucoup d’ironie Gianfranco Fini, chef de file de l’Alliance Nationale et bras armé de Berlusconi, au cours d’un récent débat télévisé. En somme, cette coalition de centre-gauche, que Prodi portait à bout de bras depuis son ascension au pouvoir, comportait dans sa physionomie, une incompatibilité de faits. Elle manquait d’homogénéité et se retrouvait la plupart du temps prisonnière de ses propres contradictions.

Un autre facteur semble expliquer la défaite de Romano Prodi au Sénat. Il réside certainement dans la confusion qui s’était installée depuis la création du nouveau parti de la Majorité de centre-gauche, le PD (parti démocratique) et la nomination de son leader, l’actuel maire de Rome Walter Veltroni. Ces deux hommes, issus de la même famille politique, nourrissaient pourtant le même objectif. Créer un parti politique solide et populaire, capable de réunir en son sein l’ensemble des forces politiques de Centre et de Gauche. Alors que beaucoup de commentateurs n’y voyaient que de la poudre aux yeux, les primaires organisées à son endroit furent un énorme succès ; plus de trois millions d’Italiens se transportèrent aux urnes. Mais une fois le parti démocratique plébiscité, il fallut nommer son chef de file. Et c’est là que les ennuis commencèrent. De nombreux analystes politiques s’attendaient à ce que Romano Prodi prenne les commandes du PD, celui-là même chargé de soutenir son gouvernement au Parlement. Seulement, il préféra s’éclipser et laisser la place à une autre figure du Centre-Gauche, largement plus populaire, Walter Veltroni. Ce dernier, fut alors chargé de consulter l’ensemble des chefs de partis politiques, de Gauche comme de Droite, afin d’arriver à un accord sur la réforme constitutionnelle. Au cours de cet âpre et long débat, pourtant crucial pour l’avenir des institutions et de la vie politique italienne, aucun n’accord ne fut trouvé avec les partis de Droite. Pis, de nouvelles dissensions apparurent à l’intérieur du Centre-Gauche, mettant aux coudes à coudes Veltroni et Prodi. Le premier se disait le seul porte-parole de la Majorité, et critiquait vertement les mesures prises par Prodi. Le maire de Rome alla même jusqu’à déclarer qu’il se présenterait seul aux prochaines élections si les autres leaders de son camps n’acceptaient pas ses propositions. Romano Prodi, qui à travers les sondages apparaît comme le plus impopulaire Président du Conseil de toute l’histoire de la République italienne, ne pouvait se défendre au risque de perdre le soutien de la majorité parlementaire, dirigée désormais par Veltroni. En somme, la chute du gouvernement Prodi résulte de l’incapacité de la Majorité de Centre-Gauche à clarifier la bataille de leadership qui se déroulait sous ses yeux. Ce casus belli politique entre Prodi et Veltroni prouve une fois de plus qu’il ne peut y avoir plus d’un chef au sein d’une même famille politique, au risque d’ébranler la légitimité et les marges de manœuvre de l’ensemble de l’édifice. Cette recette, qui depuis le règne sanglant des Julio-Claudiens, est devenue une règle immuable, n’a visiblement pas retenu l’attention de Romano Prodi, tombé sous les salves répétés de ses propres alliés.

En plus d’être impopulaire, le Président du Conseil souffrait d’un déficit de charisme latent. On peut ici faire une analogie avec l’ancien Premier Ministre française Lionel Jospin. Romano Prodi n’a jamais su charmer les foules, rassembler les Italiens sur un programme « d’espoir » à la JFK. Prodi était loin des apparats et des artifices de son principal rival et opposant Silvio Berlusconi. Reconnaissons que rien ne lui facilitait la tâche et qu’il ne bénéficie d’aucun des instruments médiatiques berlusconiens (principaux organes de presse et de télévision du pays). Cela dit, Prodi avait son style, bien particulier. Quand beaucoup le jugeaient chétif et pusillanime, lui se refusait à jouer de sa vie privée pour épater le peuple. De plus, il aimait les débats techniques et non démagogiques. En terme de personnalité politique, c’était la parfaite antithèse de Berlusconi. Ce dernier, chef d’entreprise dynamique et sans scrupules a dédié la majeure partie de son existence au secteur privé. Romano Prodi, brillant professeur d’économie, préféra l’enseignement et l’engagement citoyen. Sa méthode : s’accorder le temps de la réflexion quitte à déplaire à l’univers médiatique de l’immédiateté. C’est ainsi que parmi les deux challengers, Berlusconi s’avère un excellent communiquant. Alors que Prodi préfère les phrases longues et détaillées, l’homme le plus riche de toute l’Italie est un professionnel des formules incantatoires. En d’autres mots, il Professore comme le surnomme les médias italiens, vend mal ses réformes alors que Berlusconi, Il Cavaliere, sait par la provocation et les dérapages contrôlés, garder le haut de l’affiche, bien souvent au détriment du fond de son action politique, jugeait par la plupart des analystes italiens, très superficielle. Cela dit, la démocratie impose à ses chefs politiques un minimum de populisme s’ils veulent durer. A l’heure du bilan, reconnaissons que Romano Prodi ne possédait pas ce savoir-faire. Reconnaissons également qu’avec son départ, l’Italie perd un illustre Homme d’Etat et l’Europe un modèle serviteur.

Enfin, il serait inexacte d’analyser la chute du Gouvernement Prodi II sans apprécier la valeur de son action réformatrice. L’Italie vit actuellement une grave crise institutionnelle, qui divise et trouble les plus hautes instances du pays. En effet, les Italiens subissent depuis la disparition de la Démocratie Chrétienne, le « régime des partis ». Le mode de scrutin en vigueur est tel qu’on dénombre actuellement 39 partis différents au Sénat. Presque toutes les tendances politiques ont un ou plusieurs sièges au Parlement. Pour beaucoup de politologues italiens, cela expliquent la très faible cohésion nationale qui existe dans ce pays et surtout l’incapacité des gouvernements à gouverner, c'est-à-dire à arriver au terme de leur mandat. Romano Prodi avait été élu pour donner un nouveau régime politique à l’Italie. Le projet de réforme constitutionnelle en cours de négociation (selon laquelle les partis étaient obligés de dépasser 5% des voix aux élections s’ils voulaient être représentés au Parlement) devait modifier en profondeur le système électoral italien de façon à permettre -grâce à l’avènement d’un néo-bipartisme pluriel- davantage de stabilité et de pérennité ministérielle et une plus grande efficacité en terme de gouvernance. 24 mois après l’arrivée de Prodi aux Affaires, le Président du Conseil a échoué dans cette mission. La loi électorale, modifiée en dernier lieu par Silvio Berlusconi, reste inchangée. Cela ne signifie pas pour autant que le bilan législatif de Prodi est nul. Son engagement en faveur de l’économie italienne et des finances publiques est sans doute l’un de ses plus grands mérites. Contrairement au ton négatif employé par J.J. Bozonnet (correspondant pour Le Monde en Italie) dans son article daté du 25 janvier dernier, et d’un point de vue statistique, l’Italie n’est pas le plus mauvais élève de l’Ue. Malgré les faux procès orchestrés et instrumentalisés par la droite berlusconienne, sur le déclin de l’Italie et son soi-disant dépassement par l’Espagne zapateriste, les chiffres pour l’année 2007 sont plutôt encourageants : un PIB à 1 417, 2 milliards d’euros, qui place l’Italie parmi les quatre pays les plus riches de la zone euro (après l’Allemagne, le Royaume et la France). Si son taux de croissance reste en dessous des prévisions (inférieur à 2%), son gouvernement a obtenu un nette recul des demandeurs d’emploi, le taux de chômage s’établissant à 6 % au second semestre 2007, soit son plus bas niveau depuis les années 1990 (pour l’an 2000, le taux de chômage en Italie culminait à plus de 11%). Enfin, l’action de Romano Prodi a surtout porté ses fruits quant à l’assainissement des finances publiques. Le déficit public a nettement diminué, se situant pour l’année 2007 à 1,3 % du PIB contre 4% en 2006 (d’où le récent satisfecit de Bruxelles).

Cela dit, le départ de Romano Prodi est donc une très mauvaise nouvelle pour l’Italie et un signal fort négatif pour l’Europe. Concernant l’Italie, le Président de la République devrait annoncer ce soir la dissolution des assemblées et la tenue de nouvelles élections législatives d’ici le mois d’avril prochain. Giorgio Napolitano ainsi qu’un grand nombre de personnalités politiques auraient souhaité la mise en place d’un gouvernement de transition ayant pour mission d’adopter une nouvelle loi électorale. Les conditions à la formation de ce gouvernement d’union nationale n’étant pas réunies (les forces politiques de droite ayant toutes signifié leur refus d’y participer), G. Napolitano n’aura d’autres choix d’appeler les Italiens aux urnes. Dans cette éventualité, et selon les récents sondages, de nouvelles élections signifieraient le retour au pouvoir de Silvio Berlusconi et le triste retour de ce que les Italiens appellent communément le « conflitto d’interessi », c'est-à-dire la confusion des pouvoirs ou plutôt le monopole des pouvoirs –politiques, économiques et médiatiques- dans les mains d’un seul homme, Silvio Berlusconi. Les oppositions qui réapparaîtraient alors de part et d’autres de l’échiquier politique italien, ne favoriseraient certainement pas la transformation en profondeur du pays, mais accentueraient au contraire les divisions et l’immobilisme.

D’autre part, la chute de Prodi, est également une très mauvaise nouvelle pour l’Union européenne. Comme le remarquait l’éditorialiste du Corriere della Sera Sergio Romano le 28 janvier dernier, « si nos soucis et nos erreurs ne retombaient uniquement que sur notre tête, l’Europe resterait à nous regarder, indignée et amusée. Mais nous sommes membre de l’Ue, de l’Otan, de la zone euro et nous sommes impliqués dans des affaires qui exigent de nous un exécutif politique fort et opérationnel ». Nous pourrions ajouter que l’Italie est sur le plan diplomatique, membre non-permanent du Conseil de Sécurité de l’Onu. Qu’elle est actuellement engagée militairement en Afghanistan, au Kosovo et dirige la FINUL au Liban. Par conséquent, la tenue de nouvelles élections signifie d’une part que la dynamique de réformes engagée par Prodi s’interrompt brusquement. Et que d’autre part l’Italie ne pourra pas, pendant les prochains mois, prendre de décisions importantes ni sur le plan européen ni sur celui international. Comme l’avertissait Romano Prodi dans son dernier discours au Parlement, « Le pays a plus que jamais besoin d'être gouverné. L'Italie a besoin de continuité (...) et ne peut se permettre une vacance du pouvoir ». Il semblerait bien que la réalité lui apporte un cruel démenti.

Aurélien Cassuto

jeudi 3 janvier 2008

La fin d’un rêve européen




A travers les derniers sommets européens de Lisbonne et de Bruxelles, la majorité des Chef d’Etats ont pu, une fois de plus, afficher leur refus d’octroyer à l’Union européenne les attributs d’une nation et par voie de conséquence, d’une puissance. De ce fait, l’Union ne revête aucune symbolique qui pourrait susciter chez ses locataires, un sentiment d’appartenance, voire de fierté. La déconstruction de l’identité européenne n’est pas un phénomène nouveau.

L’Euro. Déjà lors des discussions à propos de la monnaie unique, les dirigeants européens s’étaient opposés à intégrer sur les pièces et billets européens la figure de personnalités ou de monuments propres au patrimoine culturel de l’Europe. Résultat, lorsque vous vous attardez un instant sur un billet de 10 euros par exemple, vous distinguez péniblement « un pont » et sur l’autre face une sorte d’arc arrondi. Le premier réflexe qui vous vient à l’esprit est d’essayer de deviner que représentent-ils ? Le « Ponte Vecchio » à Florence ? L’Arc de Triomphe à Paris ? Double erreurs. En réalité, ces deux dessins ne font référence à aucun monument existant mais sont de simples esquisses choisies de manière complètement aléatoire par un système informatique.

Le drapeau européen. Dans cette négation répétée de bâtir l’« Europe-Nation », les responsables européens ont également jugés totalement inutile de mettre à jour le drapeau européen. Comme chacun peut le remarquer, il est constitué de douze étoiles jaune sur fond bleu. Les douze étoiles jaunes sont censées représenter le nombre des Etats membres de l’UE, à l’instar du drapeau des Etats-Unis d’Amérique. Ainsi et si l’on s’en tient à ce drapeau, l’Union européenne est composée de 12 Etats comme en 1986. Est-ce un oubli anodin ou un acte délibéré ? Ce qui est certain, c’est que tous les autres Etats-membres de l’UE, devenus européens à part entière depuis 1995, n’ont pas le « droit de citer » sur le drapeau de l’UE.

L’hymne européen. Quant à l’hymne -choisi également de façon arbitraire- il est contraire à la tradition qui voudrait qu’un hymne soit le produit d’une lutte commune et partagée par chacun des citoyens composants une communauté. L’Union européenne, du fait de son incapacité à agir sur le monde, n’a jamais eu l’occasion d’illustrer son émotion par un chant afin de célébrer une victoire ou un événement historique commun. Certes, certains me diront : comment, mais alors, vous ne connaissez donc pas « la neuvième symphonie de Beethoven » ? (soit l’hymne officiel de l’UE). Force est de constater que celle-ci ne déchaîne ni les passions des foules ni ne suscite l’indignation des Européens non-germanophones. Pis, me trouvant ces derniers jours dans un petit café florentin, je pus observer que la plupart des gens, toutes catégories d’âge confondus, ne savaient même pas que l’UE possédait un hymne. Ceux qui le savaient étaient néanmoins incapables de me dire quel était-il. Sans diminuer la merveille de la 9e symphonie de Beethoven ni offenser la virtuosité de son compositeur, « l’Hymne à la Joie » laisse la foule complètement inerte et indifférente. Certains y verront une maladresse supplémentaire de la part des dirigeants européens. D’autres comme moi, y voyons l’expression claire et audible d’étouffer tout sentiment national européen.

Les frontières de l'Europe. Enfin, l’Union européenne est le parfait exemple d’une entité politique aux frontières instables. Il existe, dans l’essence même de l’UE, une fuite en avant mal maîtrisée de son extension territoriale. Selon Michel Foucher, ancien Ambassadeur, actuellement professeur de géopolitique à l’ENS de Paris et un des seuls à se préoccuper de cette question, les Européens vivent aujourd’hui dans une « inconscience territoriale ». En terme d’espace, ils n’ont toujours pas réussi à définir le terme du processus dit d’élargissement, concept employé pour la première fois au Conseil de La Haye de 1969. Ainsi, étant donné que l’Europe n’a pas de géographie, que l’Europe n’est pas un continent mais une partie d’un ensemble plus vaste prénommé Eurasie, des pays aussi éloignés que ceux du Caucase, pourront un jour intégrer l’Union s’ils respectent les critères politiques, économiques et sociétales énoncés au cours du Conseil européen de Copenhague en 1993. Cette éventualité nous semble aujourd’hui improbable comme il est également impensable d’imaginer la Russie faire un jour son entrée dans l’UE. Il n’empêche qu’il n’existe aucun obstacle juridique ( se reporter aux textes communautaires) ni politique (la majorité des Européens refusant de définir les frontières finales de l’UE) pour éliminer ces scénarios. De ce fait, en refusant de doter l’Europe instituée de frontières définitives, les actuels gouvernants vident le projet européen de sa substance unitaire, car ici comme ailleurs, sans frontière, il devient impossible de bâtir dans un futur proche, une unité politique européenne bien distincte. De définir une politique étrangère ou de défense commune, car celles-ci, pour qu’elles soient crédibles et efficaces, doivent porter sur du long terme, or les limites territoriales changent à chaque décennies, et sans délimiter le dedans et le dehors d’une entité politique, on ne peut rien construire de réellement solide.

Nous aurions pu continuer notre énumération. Reconnaître par exemple que le traumatisme de 2005 (échec du projet constitutionnel européen) subsiste. Que par conséquent l’Union européenne veut mener à bien une série de projets culturels, monétaires, énergétiques, sans avoir déterminer en amont quelles sont ses institutions ; sur quoi repose sa légitimité pour prendre des décisions qui engagent l’ensemble des Européens. Ici, certains verront le récent mini-traité adopté à Lisbonne comme un progrès. Fusse-t-il ratifié, chose encore incertaine vu la tendance négative qui se dessine actuellement en Irlande et en Belgique, beaucoup le considèrent comme le fruit d’un statut quo. En somme, l’Europe instituée avance, certes, mais à petits pas et qui plus est dans la mauvaise direction. Le projet européen anglosaxon l’a donc emporté sur celui fou mais tellement incroyable, imaginé au XIXe siècle par des romantiques chevronnés tels Victor-Hugo ou Giuseppe Mazzini. Une Europe comme vaste espace de libres échanges plutôt qu’une véritable nation européenne. Réjouissez-vous de la victoire de l’Europe sans frontière. De la victoire d’une Europe sans visage. Brandissez tous vos drapeaux aux étoiles périmées. La fin d’un rêve et le début d’un autre, moins beau. Décidément, l’Union européenne manque de grandeur.

Aurélien Cassuto

mardi 1 janvier 2008

Bernard Thibault: un cheminot chez les réformateurs


La figure est singulière. L’aspect physique de Bertrand Thibault participe de son originalité dans le paysage syndicale et la foule des manifestants.
Si on devait donner une recette pour se démarquer de cette foule de concurrents, le canevas reposerait sur plusieurs éléments.
D’abord soignez votre aspect physique. C’est lui qui appelle le regard avant même que la voix et le discours n’interpellent l’oreille. BT a donc opté pour son style. Gageons qu’il l’a ardemment travaillé. Si l’émissaire de François Chérèque est le bouc savamment taillé autour de la bouche, BT a désigné la coupe au bol dans son dégradé soigné, et sa frange sèche. Un symbole, sa marque de fabrique. Certains le moqueront, d’autres se contenterons de l’apercevoir plus aisément de loin. Tous peuvent admettre que dans n’importe quelle partie du monde, vêtu du plus déstabilisateur déguisement qui soit, si loin de celui d’un patron de la CGT, ils le reconnaîtront sans mal.
Le second élément de choix devrait être la précocité et un goût certain pour gravir chaque étape dans un temps de passage digne d’un champion du monde ès syndical.
Rien ne prédisposait pourtant ce jeune garçon aux hautes sphères de la CGT et à ses luttes sociales. En fait pour cela il a fallu un moule. Ce moule, c’est d’abord le centre d’apprentissage de la SNCF de Noisy-le-Sec. Il en sort deux ans plus tard, à 17 ans, avec un CAP de mécanique générale et intègre le dépôt SNCF de Paris La Villette.
Commence alors son idylle syndicale. A 18 ans, il adhère à la CGT et devient dans une foulée de sprinter, membre de la Commission des jeunes du syndicat. L’ascension ne fait que commencer. Encore tapie à l’ombre des locaux cégétistes, le petit Bernard grimpe.
C’est une véritable course aux titres et aux fonctions. Elle s’avère être sans faute, dans le plus bel esprit apparatchik. Elle se poursuit, régulièrement, sans sourciller. Il a 21 ans lorsqu’il devient secrétaire du syndicat de son dépôt. Il lui faut trois ans de plus pour ravir le secrétariat des cheminots CGT Paris Est. En 1987, il rejoint le Bureau fédéral des cheminots CGT et adhère au Parti Communiste. En 1997, il entre au Bureau Confédéral cégétiste.

Néanmoins la valeur du syndicaliste vaut également par ses prestations publiques, ses victoires dans la boue sociale. Deux dates en sonnent la messe. 1986, c’est la consécration. Un début tout au moins. Durant les grèves qui mettent à mal le gouvernement tout juste nommé de Jacques Chirac, BT impulse le rythme de la mobilisation. Mais surtout il intègre le mode de fonctionnement des coordinations. Un mode de fonctionnement que les syndicats sont pourtant peu enclins à accepter car il inviterait des grévistes non syndiqués dans les délégations et le vote par les Assemblées Générales des principales décisions. Ce qui est en jeu ici c’est bien la refonte de l’organisation de la contestation. Bernard Thibault a 27 ans.
1995, les grèves chahutent la droite et le gouvernement Juppé. BT est encore là, aux premières loges. Il devient l’un des symboles du renouveau de la CGT. Les modes de fonctionnement qu’il avait participé à intégrer dans les grèves de 1986 trouvent dans ces mouvements, leur consécration.
Voilà BT bien pourvu. Il a la coupe, il a le parcours. Il lui restait à acquérir ses victoires sur le terrain, le panache d’une lutte au forceps. Son Pont d’Arcole traversé, il fait face aux militants de la CGT en 1999, lors du 46e Congrès de la confédération. Louis Viannet tire sa révérence, et BT avance. Il est élu secrétaire général du syndicat, le 13e et le 5e d’origine cheminote, 22 ans après avoir rejoint la Confédération. La coupe de cheveux n’a pas eu le temps de changer. Seul le cheveu s’est quelque peu blanchi, et les traits se sont-ils creusés.

Désormais, il porte l’institution cégétiste sur les épaules. Et le bagage cégétiste est lourd. Lourd d’histoire et lourd de clivages profonds. Les grèves du 20e siècle, la 1e guerre mondiale, la révolution bolchevique ou le Parti Communiste sont quelques unes de ces lignes de partage. Elles ont finalement abouti au fossé entre les réformateurs, souvent majoritaires, et les révolutionnaires, anarchistes et communistes. Et conséquences majeures aux scissions de 1921 et de 1947 ainsi qu’à la création de la CGT Unitaire sur les bases des revendications des révolutionnaires. Etrangeté locale, l’opposition entre ces deux courants est encore pleine d’actualité. Les sujets à aborder ont certes changé, dans une certaine mesure. Désormais BT doit se positionner face au PCF et aux liens à entretenir, mais aussi sur la conception cégétiste de « l’avant-garde », ou le principe de la négociation. Il doit aussi affronter le problème des effectifs et du recrutement et adapter au plus vite la confédération en rendant plus lisible et efficace sa complexe structure interne.
Pour satisfaire à ces exigences, BT a un avantage pour lui. Il arrive masqué. Il a été formé dans la plus pure des traditions cheminotes. Celle là même qui a porté les coups les plus durs contre la ligne réformatrice de la CGT. Traître pour les uns, il est pour les autres le meilleur gardien pour pouvoir mener à bien la conversion de la CGT aux données actuelles. Pour les premiers, il sera sans doute encore le parfait client pour recevoir une tête de porc sur le pas de sa porte, ou pour voir son chat égorgé. BT doit faire face. Il n’est pas question ici d’aider BT à monter sur l’autel du héros incompris que la postérité dressera en martyr. Mais soyons certains que si ces agissements, quelque peu extrêmes, sont le fait d’une mince frange de l’opposition, BT s’est lancé dans une course contre la montre risquée. Pourtant l’horloge indique qu’il est grandement temps pour la CGT de choisir sa voie. Celle du réformisme et de la conquête des « déserts syndicaux » du secteur privé ou celle de la simple défense corporatiste « d’une place forte ».


Un article de Sébastien Deslandes.