jeudi 3 janvier 2008

La fin d’un rêve européen




A travers les derniers sommets européens de Lisbonne et de Bruxelles, la majorité des Chef d’Etats ont pu, une fois de plus, afficher leur refus d’octroyer à l’Union européenne les attributs d’une nation et par voie de conséquence, d’une puissance. De ce fait, l’Union ne revête aucune symbolique qui pourrait susciter chez ses locataires, un sentiment d’appartenance, voire de fierté. La déconstruction de l’identité européenne n’est pas un phénomène nouveau.

L’Euro. Déjà lors des discussions à propos de la monnaie unique, les dirigeants européens s’étaient opposés à intégrer sur les pièces et billets européens la figure de personnalités ou de monuments propres au patrimoine culturel de l’Europe. Résultat, lorsque vous vous attardez un instant sur un billet de 10 euros par exemple, vous distinguez péniblement « un pont » et sur l’autre face une sorte d’arc arrondi. Le premier réflexe qui vous vient à l’esprit est d’essayer de deviner que représentent-ils ? Le « Ponte Vecchio » à Florence ? L’Arc de Triomphe à Paris ? Double erreurs. En réalité, ces deux dessins ne font référence à aucun monument existant mais sont de simples esquisses choisies de manière complètement aléatoire par un système informatique.

Le drapeau européen. Dans cette négation répétée de bâtir l’« Europe-Nation », les responsables européens ont également jugés totalement inutile de mettre à jour le drapeau européen. Comme chacun peut le remarquer, il est constitué de douze étoiles jaune sur fond bleu. Les douze étoiles jaunes sont censées représenter le nombre des Etats membres de l’UE, à l’instar du drapeau des Etats-Unis d’Amérique. Ainsi et si l’on s’en tient à ce drapeau, l’Union européenne est composée de 12 Etats comme en 1986. Est-ce un oubli anodin ou un acte délibéré ? Ce qui est certain, c’est que tous les autres Etats-membres de l’UE, devenus européens à part entière depuis 1995, n’ont pas le « droit de citer » sur le drapeau de l’UE.

L’hymne européen. Quant à l’hymne -choisi également de façon arbitraire- il est contraire à la tradition qui voudrait qu’un hymne soit le produit d’une lutte commune et partagée par chacun des citoyens composants une communauté. L’Union européenne, du fait de son incapacité à agir sur le monde, n’a jamais eu l’occasion d’illustrer son émotion par un chant afin de célébrer une victoire ou un événement historique commun. Certes, certains me diront : comment, mais alors, vous ne connaissez donc pas « la neuvième symphonie de Beethoven » ? (soit l’hymne officiel de l’UE). Force est de constater que celle-ci ne déchaîne ni les passions des foules ni ne suscite l’indignation des Européens non-germanophones. Pis, me trouvant ces derniers jours dans un petit café florentin, je pus observer que la plupart des gens, toutes catégories d’âge confondus, ne savaient même pas que l’UE possédait un hymne. Ceux qui le savaient étaient néanmoins incapables de me dire quel était-il. Sans diminuer la merveille de la 9e symphonie de Beethoven ni offenser la virtuosité de son compositeur, « l’Hymne à la Joie » laisse la foule complètement inerte et indifférente. Certains y verront une maladresse supplémentaire de la part des dirigeants européens. D’autres comme moi, y voyons l’expression claire et audible d’étouffer tout sentiment national européen.

Les frontières de l'Europe. Enfin, l’Union européenne est le parfait exemple d’une entité politique aux frontières instables. Il existe, dans l’essence même de l’UE, une fuite en avant mal maîtrisée de son extension territoriale. Selon Michel Foucher, ancien Ambassadeur, actuellement professeur de géopolitique à l’ENS de Paris et un des seuls à se préoccuper de cette question, les Européens vivent aujourd’hui dans une « inconscience territoriale ». En terme d’espace, ils n’ont toujours pas réussi à définir le terme du processus dit d’élargissement, concept employé pour la première fois au Conseil de La Haye de 1969. Ainsi, étant donné que l’Europe n’a pas de géographie, que l’Europe n’est pas un continent mais une partie d’un ensemble plus vaste prénommé Eurasie, des pays aussi éloignés que ceux du Caucase, pourront un jour intégrer l’Union s’ils respectent les critères politiques, économiques et sociétales énoncés au cours du Conseil européen de Copenhague en 1993. Cette éventualité nous semble aujourd’hui improbable comme il est également impensable d’imaginer la Russie faire un jour son entrée dans l’UE. Il n’empêche qu’il n’existe aucun obstacle juridique ( se reporter aux textes communautaires) ni politique (la majorité des Européens refusant de définir les frontières finales de l’UE) pour éliminer ces scénarios. De ce fait, en refusant de doter l’Europe instituée de frontières définitives, les actuels gouvernants vident le projet européen de sa substance unitaire, car ici comme ailleurs, sans frontière, il devient impossible de bâtir dans un futur proche, une unité politique européenne bien distincte. De définir une politique étrangère ou de défense commune, car celles-ci, pour qu’elles soient crédibles et efficaces, doivent porter sur du long terme, or les limites territoriales changent à chaque décennies, et sans délimiter le dedans et le dehors d’une entité politique, on ne peut rien construire de réellement solide.

Nous aurions pu continuer notre énumération. Reconnaître par exemple que le traumatisme de 2005 (échec du projet constitutionnel européen) subsiste. Que par conséquent l’Union européenne veut mener à bien une série de projets culturels, monétaires, énergétiques, sans avoir déterminer en amont quelles sont ses institutions ; sur quoi repose sa légitimité pour prendre des décisions qui engagent l’ensemble des Européens. Ici, certains verront le récent mini-traité adopté à Lisbonne comme un progrès. Fusse-t-il ratifié, chose encore incertaine vu la tendance négative qui se dessine actuellement en Irlande et en Belgique, beaucoup le considèrent comme le fruit d’un statut quo. En somme, l’Europe instituée avance, certes, mais à petits pas et qui plus est dans la mauvaise direction. Le projet européen anglosaxon l’a donc emporté sur celui fou mais tellement incroyable, imaginé au XIXe siècle par des romantiques chevronnés tels Victor-Hugo ou Giuseppe Mazzini. Une Europe comme vaste espace de libres échanges plutôt qu’une véritable nation européenne. Réjouissez-vous de la victoire de l’Europe sans frontière. De la victoire d’une Europe sans visage. Brandissez tous vos drapeaux aux étoiles périmées. La fin d’un rêve et le début d’un autre, moins beau. Décidément, l’Union européenne manque de grandeur.

Aurélien Cassuto