mercredi 30 janvier 2008

Le département, un vrai problème

Débattre de la proposition 260 du rapport Attali.

Il s’agit d’un vrai problème. Siégeant à l’hôtel de ville, à l’hôtel de métropole, à l’hôtel de département et à l’hôtel de région, nous avons à Rennes quatre assemblées votant l’impôt. Avec l’Etat, cela fait en France cinq niveaux de fiscalité quand le populeux Japon ou l’immense Brésil n’en ont que trois. Manifestement, il faut faire quelque chose.
Comme en 1790 lors de la création des départements, les prises de position de nos élus trouvent leur source dans les réflexions de la haute administration. L’histoire de la journée de cheval n’était à l’époque qu’un écran de fumée, hélas pas encore dissipé. Les géomètres de 1790 qui mûrissaient leur projet depuis 1780 sont arrivés à leur fin : découper le royaume, ou du moins la province, en neuf régions de neuf départements de même superficie, en plaine comme en montagne. Il fallait alors trois jours à un citoyen de Trégastel ou Locquirec pour se rendre à Quimper, chef-lieu de son département. Nos cinq départements bretons ainsi qu’une quinzaine d’autres furent eux-mêmes divisés en neuf districts de neuf cantons, eux aussi de même superficie. A défaut de pouvoir toucher aux limites des paroisses nouvellement érigées en communes, il a fallu parfois pour se rapprocher de la bonne superficie cantonale regrouper des communes non contigües. On en trouve plusieurs cas en Ille-et-Vilaine, enfant modèle de la Révolution naissante.
Depuis au moins soixante ans, et avec une foule de variantes individuelles, notre haute administration hésite entre deux positions.
La plus fréquente considère qu’il ne doit y avoir qu’un seul échelon entre la commune et l’Etat. L’idéal serait pour elle 2000 grosses communes et 45 gros départements. A défaut de pouvoir fusionner les communes, on pourrait leur donner statut de simple quartier au sein de quelque 2000 ou 3000 communautés. Prenant acte du fait que l’on n’a eu de cesse depuis 1969 de renforcer les départements et accessoirement les régions dans leur découpage actuel, l’on se contenterait d’articuler ces deux échelons sans y toucher. C’est le sens de la réforme de la carte judiciaire : un tribunal de grande instance par département et une cours d’appel par région. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres…
La position minoritaire, ayant inspiré les lois Pasqua et Voynet et inspirant aujourd'hui les conclusions de la commission Attali, est qu’il y a place pour deux échelons entre les actuelles communes et l’Etat. D’une part des agglomérations plus vastes que les agglomérations actuelles et récupérant nombre de compétences communales – elles auraient entre 60.000 et 500.000 habitants – d’autre part des régions « fortes et peu nombreuses ».
Toute la question est de savoir ce que deviendraient dans ce second dispositif les actuelles compétences départementales. Il est question dans le rapport Attali de certains transferts non précisés à la région et le département a beau jeu de s’y opposer en arguant de sa plus grande proximité. Il a entièrement raison, mais il doit reconnaître que le principe de proximité - déjà évoqué avec quelque hypocrisie en 1790 comme on l’a dit plus haut - appellerait de plus petits départements. Quelle proximité en effet dans un département écartelé entre plusieurs villes, Brest et Quimper, Vannes et Lorient, Rennes et Saint-Malo, Nantes et Saint-Nazaire, Rouen et Le Havre, Bayonne et Pau, Dunkerque et Maubeuge, Moulins, Vichy et Montluçon ? Neuf nouveaux départements sont apparus en France depuis 1790 par démembrement des anciens. Jean-François Gravier en 1949 voulait porter à 332 le nombre des chefs-lieux de département, composant 19 régions. Le Commissariat au Plan en 1964 s’est aidé pour la répartition des équipements concernant la population d’une partition du territoire en 202 unités aptes y pensait-on à remplacer les départements. Un rapport demandé par le Général de Gaulle allait en ce sens. En se contentant de parler d’agglomération – ce qui n’est pas dénué de sens car il n’est de développement rural qu’en symbiose avec la ville – le rapport Attali est passé à côté de l’essentiel : ces agglomérations peuvent être le département de demain et c’est bien vers ces entités, comme y invite déjà la loi de 1992 pour les dépenses sociales, que doivent être transférées le plus clair des actuelles compétences départementales. .
Il faut bien voir à ce sujet que ce que nous appelons en France décentralisation n’est que de la centralisation rapprochée. Ainsi les équipements d’intérêt régional, universités, CHU, routes de grande circulation, restent de la compétence parisienne. Les régions ont en charge les lycées ou les hôpitaux, équipements d’intérêt local. Les départements ont en charge l’aide sociale ou les collèges, équipements disséminés dans les chefs-lieux de canton… Au nom d’une vraie proximité, de plus petits départements pourraient très bien gérer hôpitaux, lycées, et le reste. Bien entendu, ils auraient besoin pour cela d’une expertise régionale.
Notre ouest armoricain nous fournit un bon exemple d’articulation grande région petit département avec la justice – la cour d’appel de Rennes débordant la région administrative et les départements comptant plusieurs tribunaux de grande instance – avec la presse – Ouest-France ou Le Télégramme ont des éditions infra-départementales – et peut-être demain France 3 Ouest.

En 1969, le rapport du préfet de région sur les grandes orientations du 6e plan se fondait sur une division de la Bretagne en une quinzaine de « pays ». Deux ans plus tard, le CELIB alors présidé par René Pléven prônait une Bretagne elle aussi divisée en une quinzaine de « pays » associant les villes et la campagne. Nous n’avons fait depuis cette date que nous empâter. Alors demain, aurons nous assez de punch pour construire une Bretagne de quinze département ?

Loeiz Laurent


Ancien directeur de l'Insee-Bretagne,
Il a publié "la fin des départements" aux presses Universitaires de Rennes (2002)