jeudi 31 janvier 2008

la fin de la publicité: entre diversion et fausse bonne idée

« Réfléchir à la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques »
On peut s’interroger sur le sens à donner à cette proposition devant un parterre de journalistes et face aux responsables des médias de France. On peut un instant, se demander après quels objectifs Nicolas Sarkozy pouvait courir en faisant pareille annonce. Une idée toutefois.
Empêtré depuis quelques semaines dans des débats interminables sur les difficultés à relancer le pouvoir d’achat, il est renvoyé à ses propres limites pour rompre cette quadrature du cercle, lui l'énergique pragmatique. Or son annonce de supprimer la pub sur France TV a fait bondir. Car face à lui se trouvaient les plus sensibilisés par cette mesure. Car devant lui se tenaient ceux qui demain feront l’information et sa hiérarchie.
En ricane t-il encore lorsque le soir venu, il grimpe dans son lit élyséen. Toujours est-il que considérant l’importance prise par les médias, qui plus est dans la « République de Sarko », sa proposition a réussi à faire couler des sueurs froides à tous ces protagonistes. Mais n’était-ce pas le but recherché ? Quoi de plus malin que de taper du point sur leur table. Une table, celle des médias, sur laquelle la question de la publicité dans l’audiovisuel public couvait en arrière cour depuis un moment. Sans remonter à la présidence de François Mitterrand et à son refus de 1981 de trancher la question, sans évoquer la nouvelle indécision suivant la proposition de son premier ministre M.Rocard, contentons nous des derniers éléments.

Tout aurait commencé à la fin du mois d’août dernier. Une conférence de presse de rentrée, un président, Patrick de Carolis, et une volonté affichée, encore : sortir le groupe « du sous financement chronique. » Il avance deux scenarii possibles. La hausse de la redevance télé (116 € par an) ou l’introduction d’une nouvelle coupure de publicité dans les émissions dîtes de flux. (Divertissement, variété, magazine) Levées de boucliers et réactions hostiles des syndicats de la presse professionnelle suivent. L’argumentaire des syndicats tient en deux lettres envoyées à Nicolas Sarkozy. Ils pointent principalement le risque de déstabilisation du marché publicitaire français. Or pour une presse qui perd déjà de l’argent cela prend les traits du simple désastre. Entre 2001 et 2006, elle a en effet accusé une perte de 290 millions € de son chiffre d’affaire publicitaire. Ce bilan, elle le doit notamment à la concurrence de la presse gratuite et de l’Internet mais aussi à la possibilité pour les chaînes de télévision de vendre des espaces à la grande distribution. C’en était sans doute trop pour la presse. Les propositions du président de France TV leur ont fait craindre un nouveau transfert des annonceurs vers l’audiovisuel public. Pourtant elle peut compter sur un soutien de poids et de circonstances. Les chaines privées. En tête de cette hostilité privée on trouve les chaînes de la TNT et en fer de lance, le président de BFM TV, Patrick Weil. Ce dernier y est d’alors allé de sa petite lettre au président Sarkozy. Une lettre ouverte dans laquelle il affirme que « l’absence de déstabilisation du marché publicitaire figurait dans la loi en tant que critère de sélection » la TNT. Grand prince, il fait même des propositions en faveur de l’audiovisuel public ne mettant pas en péril, qui plus est, le groupe des hostiles. Pour lui c’est simple, il faut augmenter la redevance et passer de l’analogique au numérique. Cette dernière mesure reviendrait à réaliser une « réduction de la facture de 60 à 120 millions € par an. »
Un front de l’hostilité s’est donc constitué. Il peut également compter sur TF1 et M6. Sous les traits chevaleresques des défenseurs « des petits » de la TNT, ils prennent position et arguent que le surcroît de recettes publicitaires pour France TV s’élèveraient de « 20 millions » (M6) à « 60 millions » € prises à la TNT.
En définitive, la proposition de Nicolas Sarkozy lors de cette conférence consomme bien la défaite de Patrick de Carolis. Il a perdu son bras de fer et est désormais contraint non pas « au grand écart » mais « au cirque de Pékin ».
Le candidat Sarkozy était pourtant favorable à l’introduction d’une coupure de publicité. Dès lors sans prêter le flanc à la théorie du complot et aux amitiés industrielles du président Sarkozy, plusieurs éléments inquiètent.
D’abord selon la règle économique de l’offre et de la demande, les tarifs publicitaires grimperont allègrement. On peut concéder à TF1 et à M6 qu’ils connaissent déjà un taux de remplissage proche de 90%. Ils semblent donc dans l’impossibilité d’absorber l’ensemble du volume publicité revenant dans l’arène. Cette mesure ne va donc pas chambouler leur quotidien voire leur avenir. Néanmoins soyons surs qu’elles ne sont pas hostiles à l’augmentation du cours de leur titre boursier. (Le lendemain de l’annonce TF1 prenait 12%)
En fait les grands bénéficiaires seront certainement les chaînes de la TNT. Dans une certaine mesure toutefois car les annonceurs choisissent aussi d’acheter des espaces sur France TV pour toucher les catégories sociaux-professionnelles supérieures. Dès lors le regain de forme et d’avenir pourrait aussi être à concéder à d’autres médias. La radio mais aussi la presse nationale et régionale ainsi que l’Internet feront certainement partis des grands bénéficiaires.

Gageons que P.Weil, président de BFM TV, sera cette fois favorable aux bouleversements du marché publicitaire. Quand bien même ils remettraient en cause les critères de sélection des chaines de la TNT. Ceux ne participeront pas à l’élan de joie sont certainement à chercher du côté de France TV. La précipitation avec laquelle l’opération a été lancée par l’Elysée pose la question des possibilités de transformation du groupe public. « C’est quelque chose qui va se faire assez vite » prédit Guéno. On parle d’après les municipales. Une vitesse d’exécution a priori antinomique du mammouth public. Supprimer la publicité aussi rapidement ne reviendra t-il pas à condamner le groupe ? N’est-ce pas le meilleur moyen de perdre tout financement capable d’acheter la retransmission d’évènements, sportifs notamment, c’est-à-dire ceux qui peuvent fédérer le public ? Car c’est bien 4h de programmes en plus qu’il va falloir produire. On peut certes disserter sur les quelques avantages. Les émissions nocturnes le seront un peu moins. A 8 minutes de pub en moins par heure, vous pourrez en effet regarder votre émission habituellement programmée à 1h30 à partir de 0h30. Un peu court.
En réalité la question est aussi de savoir si la suppression sera totale ou partielle. Car pour compenser le coût financier, la proposition présidentielle de taxer les revenus publicitaires des chaînes de télévision privées et les abonnements Internet et de téléphonie mobile risque de ne pas suffire. Une vision finalement optimiste. Ce pourrait aussi être Bruxelles qui stoppera en amont la machine avant même son entrée en gare. Sera-t-elle d’accord avec ce mode de taxation du privé vers le public. N’est-ce pas en contradiction fondamentale avec la directive européenne qui prévoit et incite à une deuxième coupure publicitaire dans les films. Une possible douche froide en perspective?

La fin de la publicité sur France télévision peut compter sur de nombreux avocats, mais aussi sur de supposés exemples qui marchent. Le cas du modèle Britannique et de la BBC est utilisé chaque fois qu’il faut démontrer la magie d'une chaîne sans pub. Toutefois préservons-nous de toute fascination. Certes si vous regarder les chaînes de la BBC vous ne trouverez pas de publicité et pourrez regarder de belles fictions, de grands documentaires et vous émerveiller de la qualité des chaînes internationales. Un modèle du genre. Mais après cet instant de béatification, prenez le temps de vous délassez devant la qualité des programmes de la BBC1. Vous constaterez que c’est d’abord la télévision réalité qui nourrit les programmes et finalement l’audience. Après quelques recherches vous comprendrez que ce grand ensemble table aussi sur les ventes sur le marché internationale de la société commerciale de la BBC. Ses ventes sont un succès et ses émissions hautement culturelles ont pour nom « le maillon faible » ou « qui veut gagner des millions ». Faire une BBC en France ce pourrait donc aussi faire beaucoup de télévision réalité. Serait-cela la protection de la mission de service public ?
Sébastien Deslandes