jeudi 27 décembre 2007

Washington : penser déjà à l’après Bush



George W Bush termine son mandat dans un long soupir. La créature, accablée, a rendu définitivement l’âme au mois de décembre 2007, date de la fin de son rôle décisif dans la vie politique américaine. Son itinéraire présidentiel est étrangement similaire à celui d’une vieille connaissance, Jacques Chirac : début de règne morne et décevant, sans réelle vista, puis un événement décisif (11 septembre/ 21 avril 2002) dont tous deux ne se sont vraisemblablement pas montrés à la hauteur. Les Etats-Unis version 2007-2008 vivent là encore à un rythme que la France a connu en 2006-2007, imposé non pas par le pouvoir exécutif mais par des candidats y prétendant.

Aucun d’eux d’ailleurs, républicains compris, ne semble vouloir se ranger dans la continuité du Président Bush. Quel que soit l’évolution de la situation en Irak, l’impopularité de ce dernier est telle que son nom n’est que rarement évoqué. Lorsqu’il l’est, une sorte de règle non-écrite veut qu’il faille toujours l’accompagner d’une remarque insultante vis-à-vis de Donald Rumsfeld, ex-Ministre de la Défense et sans jamais se départir d’un timbre triste, désenchanté : « I know our boys are dying… but the war was mismanaged. It wasn’t unfair ! »[1]. John Mc Cain, candidat républicain en hausse actuellement dans les sondages, entonne cet air fréquemment. La pilule irakienne est délicate à avaler pour tous les prétendants. Pourtant son discours, très critique quand on pense qu’il vient d’un proche, se rapproche le plus d’un soutien à l’Administration en place, fait très rare à Washington : ces 80 dernières années, il y a toujours eu un Président ou un Vice-Président pour défendre l’héritage des partants (legacy) aux Primaires d’un des deux partis. George Bush n’aura que sa bibliothèque présidentielle pour se défendre et comme seul appui son VP Dick Cheney, lui aussi un bien curieux futur retraité.

Pour mieux cerner le contexte actuel, le parallèle Bush-Cheney/ Nixon-Kissinger est pertinent. La fin d’un mandat (surtout de huit ans) s’accompagne toujours de défections, mais rarement dans les proportions (et la manière) connues par Bush et Nixon. La liste des principaux disparus parle d’elle-même dans le cas du premier qui nous intéresse ici : Colin Powell, Richard Armitage (tous deux discrédités par les introuvables WMD’s[2]), les deux Paul, Wolfowitz et Bremer (que dire ?), Scooter Libby (dont le procès a failli se transformer en Watergate bis), le Général Ricardo Sanchez (défait par Abu Ghraib), Rumsfeld (haï par les militaires), Karl Rove (l’ami fidèle, génie électoral), sans parler de la quantité de porte-parole démissionnaires, un job visiblement intenable sous l’ère Bush. Le propre de ces départs c’est qu’ils furent presque tous précipités, décidés par une succession d’évènements ne jouant pas en faveur de la Maison Blanche. La Présidence a d’un côté élargi ses pouvoirs mais paradoxalement réduit aussi sa marge de manœuvre par des décisions inefficaces et malheureuses.

Le but des candidats républicains et démocrates est de convaincre le public qu’ils peuvent inverser cette tendance, reprendre le contrôle de l’économie comme de la politique étrangère américaine. Des deux, quel sera le grand déterminant des élections à venir ? La plupart des commentateurs s’accordent à dire qu’il ne s’agira pas de l’Irak, en amélioration constante depuis le mois de septembre et la stratégie du Général Petraeus. Les attentats se réduisent et le nombre de GI’s tués s’amenuise considérablement. Quant à l’Iran, le NIE (National Intelligence Estimate), rapport analytique des services secrets rassemblant l’expertise de quatorze agences de renseignement, conclut à un arrêt en 2003 de la production de bombes nucléaires. Même si cette information est loin, très loin de rassurer la Communauté internationale (et de la renseigner complètement), il s’agit d’un coup de grâce pour l’entourage de Cheney et sa position dans l’Administration Bush. Quel que soit la réaction (attendue) du Pentagone, plus faucon que d’autres corps, George Bush ne mènera certainement pas un troisième combat au Moyen Orient, faute de légitimité quant au casus belli.

En fait c’est l’économie qui suscite toutes les attentions électorales et une vraie angoisse des ménages américains (cela nous concerne aussi). La crise des « sub-prime », provoquées par l’octroi par les banques privées de crédits immobiliers sans évaluation correcte des risques (la chute des prix faisant éclatée cette erreur probablement volontaire) met en cause l’ensemble de l’édifice économique des Etats-Unis. Si les taux d’intérêt continuent de grimper, au même rythme que le prix du baril et le coût de la vie (le mot inflation est plus effrayant que le nom Ahmadinejad), la consommation nationale, sur laquelle repose 70% de la croissance outre-Atlantique, ne pourra que s’effondrer. La récession a déjà commencé. Sa durée et son intensité demeurent un mystère récurrent.

Aussi la question se pose : la puissance américaine connaitrait elle ses premières faiblesses ? Les Etats-Unis perdent ils confiance ? Vue d’Europe le monde semble échapper à nos amis américains. En concentrant ses efforts au Moyen Orient sur deux Etats, l’Afghanistan et l’Irak, tout en laissant une large autonomie aux autres (Israël, le Pakistan et l’Arabie Saoudite en particulier), la stratégie de « démocratie armée » se révèle être un échec grave. En Asie, la soi-disante ouverture du régime nord-coréen ressemble vaguement au scénario mensonger acheté par Clinton en 1994. L’accord nucléaire signé avec l’Inde ne semble pas devoir être voté par le Parlement indien en raison d’un tollé communiste. Une autre réaction de rejet a lieu au Japon où le débat national se focalise sur l’autorisation ou non du ravitaillement de la « Navy » américaine dans l’Océan Indien. Comme l’Inde, la Chine s’éveille, consommant toujours plus de pétrole, ce qui n’est pas sans incidence sur l’économie US : les pays émergents, malgré la récession américaine, font monter le prix du baril. Il est révolu le temps où les Etats-Unis corrigeaient leurs baisses de régime « en passant un coup de fil à un ami », saoudien par exemple ou à Alan Greenspan, ancien directeur de la Banque Centrale.

Néanmoins le pessimisme est loin de gagner Washington, avec raison il nous semble. Le pays est en constante hausse démographique grâce à l’afflux d’immigrants latino-américains, relativement bien acceptés et intégrés dans la société nord-américaine. Très pratiquants, ils sont l’une des raisons du retour du religieux et font des efforts pour parvenir au « rêve américain ». Sur le plan économique les déficits creusés sont importants mais les bases du capitalisme américain sont solides (plein emploi, croissance toujours élevée, investissement record dans la recherche et l’innovation). Certes ils n’ont plus la même maitrise des flux internationaux qu’avant mais cette situation correspond précisément à l’idéal américain d’expansion de l’économie de marché. L’Internet est un exemple frappant de cet esprit de liberté.

La puissance militaire reste, elle, quasi intacte. La Chine est largement derrière à tous les niveaux, quantitatif et qualitatif, et dans tous les secteurs opérationnels, sous-marins, avions, infanteries… La Russie de Poutine bombe le torse mais l’épuisement des ressources pétrolières et sa démographie en chute libre ne lui permettra de retrouver son statut de grand compétiteur de la Guerre froide. Quant au Moyen Orient, l’image des Etats-Unis quittant l’Irak, sans trouver de solution politique, marquera les esprits si ce scénario se produit. Toutefois personne n’est inquiet à long terme : il y aura toujours la possibilité de jouer les sunnites contre les chiites malgré le chantage exercé en retour par l’Arabie Saoudite. Plus généralement les Etats-Unis sont les seuls à pouvoir débloquer des fonds d’aide colossaux (10% du PIB pakistanais par exemple) compensant les budgets annuels de nombreux dirigeants incapables et fragiles. Ce simple rappel explique que la première partie du XXIe siècle, au moins, est et restera américaine.

Pour cette raison, les Primaires du parti Républicain et Démocrate fascinent : le choix du leader le plus influent de la planète repose pour l’instant sur l’humeur de quelques milliers de fermiers de l’Iowa et du New Hampshire. D’un côté Hillary Clinton/Barack Obama, de l’autre Rudy Giulani/ Mike Huckabee/ Mitt Romney/ John Mc Cain : place your bet !

Un article de Michael Benhamou

[1] Je sais que nos fils meurent… mais la guerre fut mal gérée. Elle n’est pas injuste !
[2] Armes de destruction massive

vendredi 21 décembre 2007

Retour sur les manifestations étudiantes contre la LRU

Face aux récents mouvements étudiants en France et en particulier à la Sorbonne, nous devons tous, personnel administratif, professeur, étudiant, faire preuve de lucidité.

Nous sommes arrivés à une situation inextricable, qui voudrait que d’un côté, le gouvernement et les présidents d’universités soient dans une dynamique de réforme et de modernisation des facultés. Et que de l’autre côté, les syndicats dispersés et la jeunesse qui, faute de ne pas être entendu par le pouvoir établi, organisent la contestation et la lutte contre la réforme LRU. De ce dialogue de sourds en résulte un mouvement étudiant inaudible, peu couvert par les medias et qui en arrive à une action d’ultime recours : le blocage des universités. Certains estiment, à juste titre devant la fin de non recevoir des responsables politiques et universitaires, que le blocage est aujourd’hui le seul moyen d’action efficace pour se défendre contre l’administration et se faire entendre de l’opinion publique. Naissent dès lors des catégories superflues d’étudiants « bloqueurs » et « anti-bloqueurs ». La peur ou la colère se lisent sur tous les visages. Les CRS écoutent aux portes. Des procès d’intention stériles pleuvent entre ceux désignés comme réformateurs et ceux dits conservateurs. La division s’installe donc, de façon sinueuse et progressive, au sein même de la vie universitaire et des étudiants. Dans le même temps, la LRU, elle, existe toujours et certains décrets d’application ont d’ores et déjà été adoptés.

Sans rentrer dans un parti pris quelconque, ni dans les détails de la loi LRU aujourd’hui contestée par les étudiants, les chercheurs et les enseignants, regrettons premièrement que cette réforme ait été discutée et votée dans une période de vacances universitaire et que nos dirigeants politiques n’aient pas jugé bon engager en amont, comme cela est le cas sur d’autres sujets (grenelle de l’environnement, commission sur les institutions) un grand débat sur l’université. Elle le mérite largement. Il est vrai que nous sommes dans une situation d’urgence. Il est vrai qu’une rupture s’impose après des décennies de tergiversations et d’altermoiements. Mais de grâce, cessons de prendre des décisions vitales pour notre pays dans les palais feutrés de la République. Il s’agit ici d’une exigence démocratique. Redonnons aux forces vives de la nation, étudiants compris, les moyens de s’exprimer dignement et en responsabilité sur l’avenir de l’Université et de la Recherche. Agissons en citoyens libres et respectueux d’autrui. Arrêtons de nous diviser dans des querelles de partis, de personnes ou d’idéologies. Faisons preuve d’imagination certes, tout en conservant ce minimum de réalisme qui permet à une idée, à une originalité de vivre et d’exister.

Je voudrais pour conclure, concentrer mon propos sur un point en particulier. La réforme dite LRU soulève grosso modo, la question du financement des universités. La logique est la suivante : étant donné le déficit de nos comptes publics, le gouvernement actuel souhaite introduire les entreprises du secteur privé qui le voudront au sein du Conseil d’Administration de l’Université afin qu’elles participent et augmentent le budget de celle-ci. Par principe, je suis pour le mélange des genres comme des cultures. S’il s’agit de faire appel à la générosité de grandes entreprises pour améliorer les conditions d’existence des chercheurs, professeurs et étudiants, ainsi que les moyens de nos facultés, comme c’est le cas dans le domaine de l’art et du patrimoine avec le mécénat, alors l’entreprise a toute sa place à l’université. S’il s’agit en revanche, d’influencer les programmes universitaires, de censurer certains travaux de recherche jugés peu académiques, de supprimer des filières considérées « peu rentables », d’instituer la sélection en augmentant les frais d’inscription ou en instaurant un niveau de notes éliminatoires dès la première année universitaire, alors il n’en est pas question. Non pas parce que je suis anti-capitaliste, communiste, ou encore anarchiste. Mais parce que je suis démocrate, donc contre toute forme de censure et d’arbitraire. Et républicain, donc contre toute idée qui consisterait à ne pas donner sa chance à chacun d’entre nous, quelque soit notre pays d’origine, notre confession, ou notre niveau social. La question est de savoir si la loi LRU donne des garanties suffisantes pour le respect de ces principes républicains indéfectibles. Certains le pensent, d’autres non. Le gouvernement se doit par conséquent de clarifier ce doute sans quoi le débat ne peut progresser.

Une fois la question du financement des Universités surmontée, posons-nous la question de son utilité. Je considère que l’État doit mettre davantage l’accent sur l’orientation et la formation. En sciences humaines par exemple, les filières sont beaucoup trop générales. Elles devraient proposer, dès la deuxième année, davantage de spécialisations. Aujourd’hui, le système veut que l’Université prépare aux métiers d’enseignent et de chercheur. C’est une faute. Elle devrait élargir ses compétences à d’autres activités pour être davantage valorisées sur le marché du travail. Ces filières ne doivent pas, bien entendu, être sélectives ni en terme de ressources financières ni en terme du niveau d’étude de l’étudiant. Elles doivent être ouvertes à tous. Elles doivent offrir la possibilité aux étudiants qui ne souhaitent pas devenir professeurs ni chercheurs, de se préparer à d’autres métiers dans le domaine du patrimoine, de l’environnement ou de l’édition par exemple. Elles doivent également permettre aux étudiants qui le souhaiteraient, de publier régulièrement leurs travaux sur les sites internet des centres de recherche concernés, de façon à valoriser leurs efforts et enrichir le débat public. Enfin, pendant la très longue période de vacance d’été, les filières universitaires doivent proposer aux étudiants qui se porteraient volontaires, des stages rémunérés ou indemnisés, dans la fonction publique et le secteur privé, afin de les sensibiliser au monde du travail et de leur permettre de déterminer quelle profession ils souhaiteraient exercer plus tard. Ces dispositions existent, mais elles sont trop peu nombreuses et donc beaucoup trop sélectives. L’État doit démocratiser voire généraliser ce type d’initiatives.

Voilà donc quelques propositions qui mériteraient davantage d’explications et de détails. Il n’empêche que si une action aussi radicale que le blocage soit justifiée ou non, elle doit aussi être accompagnée d’une démarche constructive et rationnelle. N’oublions pas que ceux qui au moment de la Révolution française, se battaient pour la fin de la monarchie, avaient la République. Que ceux qui luttaient pour l’abolition des privilèges, avaient le texte des Droits de l’Homme et du Citoyen. Que l’esprit de la Révolution se perpétue, passionné et raisonné à la fois.

un article de AC

Pourquoi diable l'aventure?

Pourquoi diable l‘aventure ?

Comment échapper, mardi soir, à la programmation des « Visiteurs 2 » et à son pendant, la douce soirée avec mémère ? A Écuelle (Seine et Marne) un promeneur aurait trouvé. S’emparant de son chien, son fidèle alibi, il a feint de remplir le devoir quotidien du maître et prit la poudre d’escampette. Son refuge? La forêt de Fontainebleau. Là, enfin il a pu profiter d’un silence mérité. Si vous aussi, avez pu vous prémunir contre ce type de soirée, ce trou noir de la soirée douillette. Si dans un élan libertaire, dans une soif de survie, vous avez choisi la flânerie d’un soir de novembre, alors peut-être l’avez-vous rencontré. C’est toutefois peu probable, il barbotait dans le canal de Loing. Son chien dites vous? Il s’est enfuit. Ce soir si les visiteurs d’un autre siècle vous ennuyaient, celui de Fontainebleau vous attendait.

Certes lui aussi a une tête ronde, des dents et des griffes. Mais ce visiteur ne vient pas d’un autre temps, il n’a pas d’odeur suspecte et il fait sa toilette quotidienne. La préfecture hésite entre la panthère et le puma. Elle vous invite cependant « à la prudence et à la vigilance. »

Le mystère des joies des soirées télé est enfin percé. Celui de la perte des vocations aussi. Que choisira de faire notre promeneur mardi prochain. Ils ont programmé « Joséphine ange gardien! »

un article de Sébastien Deslandes

jeudi 20 décembre 2007

Sarkozy "Monnet" son Union Méditerranéenne

Sarkozy « monnet » son Union Méditerranéenne

Les plaisirs de la diplomatie.
Aller au Maroc et il faut affronter la susceptibilité de Rabat de n’avoir été que la destination de clôture de la mini tournée du Maghreb post présidentielle, au bénéfice d’Alger la rivale. Aller en Algérie et vous devrez diluer la peu gouttée position française pro marocaine sur la question du Sahara Occidentale dans un bain de juteux et prometteurs contrats.
Bref, il faut ménager tout le monde et consentir à apaiser les esprits. Que de ronds de jambes. Quand bien même la tension redoublerait et qu’un ministre de la République algérienne chercherait à s’aguerrir dans l’art de la provocation.

La faute à l’Union de la Méditerranéenne ? Pas uniquement, mais chemin faisant, l’UM rencontre le scepticisme. Ce n’est donc pas l’heure d’oublier sur le bord de la route les rares capitales soutenant le projet présidentiel.
Car depuis le solennel, lyrique et fondateur discours de Tanger du 23 octobre 2007 jusqu’au sommet de Marseille des 11 et 12 juin prochains, il s’agit de convaincre. Convaincre de la viabilité des projets concrets à « géométrie variable » et de la pertinence des secteurs choisis. L’environnement, la sécurité, l’économie (une agence de développement en faveur des PME-PMI), les finances (une caisse des dépôts utilisant les capitaux des travailleurs migrants) et le social sont les élus. Ses adversaires ou tout au moins, ses critiques sont nombreux.
Du côté des experts d’abord. Pour Barah Mikaïl de l’IFRI, le projet de Nicolas Sarkozy fait fi de la réalité géopolitique. L’espace méditerranéen est a priori peu disposé à engendrer l’unité désirée. Du conflit israélo-palestinien, à la crise syro-libanaise en passant par les velléités iraniennes, la guerre en Irak ou les divisions politiques du Maghreb, le terrain n’est pas forcément enchanteur : le plus bienfaiteur pour un tel dessein. Son défenseur vous répondra toutefois qu’une logique si négative aurait été une entrave à la construction européenne et à la réconciliation franco-allemande, difficilement envisageable au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Du côté des Etats récalcitrants, plusieurs catégories se dessinent. D’une part les Etats non riverains du nord. A l’image de l’Allemagne, moins concernée, ils ne manquent pas de dénoncer leur exclusion et le risque de régionalisation contraire au projet européen et à sa politique extérieure. L’initiative française est même perçue comme brutale, et on digère mal du côté de Berlin l’idée de financer le retour de la France au cœur de la Méditerranée. Une attitude critique que Berlin pourra à loisir partager avec Londres. Pour l’instant en retrait, la Grande Bretagne semble être en effet son allié de demain. Néanmoins, le projet semble pâtir de sa propre mise en route et de son unilatéralisme. L’initiative décrit finalement une Union Européenne au sein de laquelle, un Etat membre prend sans concerter sa communauté une décision. Or cette décision embarque pourtant tout le monde sur le même bateau. Et finalement cette décision créé un malaise sur la réussite d’une construction européenne que N.Sarkozy s’évertue pourtant à vanter pour convaincre du bien fondé de son idée.
Du côté des Etats du sud, c’est l’embarras. Bien sûr, il y a le président grec Karolos Papoulias pour considérer l’UM comme « une très bonne idée ». Mais du côté italien et espagnol, l’incompréhension fait le guet et l’hostilité règne. On apprécie peu tant à Rome qu’à Madrid d’être à la remorque de Paris. On s’interroge surtout sur l’avenir réservé au processus de Barcelone. D’autant que ce partenariat pose sur un pied d’égalité des accords d’association entre l’ensemble des membres de l’Union européenne et les Etats du sud et de l’est de la Méditerranée. Le défenseur de l’UM vous répondra alors qu’aux sus et aux vues de tous, le processus barcelonais lancé en 1995 est au point mort. Il s’agit dès lors de renouveler, de moderniser les relations entre ces Etats pour répondre aux enjeux globaux de demain.
Du côté des Etats concernés et non européens, comme le fait remarquer Jacques Mitral, directeur des études économiques de l’IFRI et membre du Cercle des Economistes, il leurs est difficile de s’opposer à « une relance politique de la relation euro-med ». Toutefois, là encore, la méthode Sarkozyenne a étonné et détonné. Lorsque le journal marocain « La Nouvelle Tribune » qualifie le projet d’UM de « mirage » et de « coquille vide », il répond certainement aux interrogations des Chancelleries. Si le ministre égyptien des affaires étrangères, Ahmed About Gheit, décrète qu’il s’agit « d’une vue de l’esprit » et regrette qu’il ait été lancé « sans consulter personne », le secrétaire général de la Ligue Arabe, Amr Moussa, demande « ce qu’il y a dedans ». Ce sont en fait les contreparties aux incontournables demandes sur l’immigration ou la lutte contre le terrorisme qu’ils attendent de voir s’éclaircir.

Le président Sarkozy peut néanmoins compter sur le président tunisien Ben Ali qui a réitéré son soutien même s’il a ajouté fort logiquement mais cela sonne aujourd’hui comme un reproche, qu’il voulait aussi contribuer à la définition des contours et des objectifs de l’UM. Il peut aussi s’appuyer sur la ferveur du roi du Maroc, Mohammed VI qui depuis le lyrisme de Tanger affiche plus encore son soutien. Les détracteurs de l’UM sont pourtant présents au Maroc. Ahmed Mottassime et « La Gazette du Maroc » complètent les suspicions d’une partie de la presse du Royaume en évoquant les difficultés qui inévitablement vont surgir depuis la Turquie. Il semble que son premier ministre, M.Erdogan, n’a pas attendu la presse marocaine pour voir dans ce dessein, un alibi contre l’entrée de la Turquie dans l’UE. L’équipe Elyséenne ne semble pas en être surpris outre mesure. Henri Guaino a déjà prévu d’envoyer l’ambassadeur Alain Leroy pour déminer le terrain. Il est à parier que celui-ci va s’évertuer de convaincre que rien de rien n’est désireux d’attirer Ankara loin de ses vœux européens. Que représente toutefois la force de conviction d’un homme face à qui apparaît comme un véritable secret de polichinelle, déjà répandu jusqu’aux bords du Royaume de l’Atlas.


un article de Sébastien Deslandes

Rencontre avec: Christian Brincourt (Grand Reporter)


Vendredi soir, l’hiver parisien et son complice de toujours, le froid, nous accompagnent jusqu’au lieu de notre rendez-vous. L’appartement où nous sommes conviés, se trouve dans le 17e arrondissement. Au premier regard, il fait partie de cette classe d’immeubles Haussmanniens depuis lesquels, ses occupants calfeutrés, peuvent témoigner d’une certaine réussite. Sociale s’entend. Première surprise de choix. Le journalisme grand reporter, baroudeur et vagabond, troubadour et saltimbanque, peut également se décliner en figure cossue et bourgeoise des beaux quartiers parisiens.
Il était pourtant question de lui parler du désert d’inspiration, du désarroi matériel du journaliste. En somme de la situation de la presse, de son avenir et de ses évolutions.
Devrons nous revoir nos plans et certaines de nos conceptions sur le journalisme. Ce sont pourtant elles qui nous amenées jusqu’ici et conduisaient certaines de nos questions.


Christian Brincourt, 72 ans, vif et élancé, nous reçoit. Il a gardé sa barbe de quelques jours. Barbe éternelle s’il en est, elle parait comme notre homme, tenir coût que coûte à témoigner. Témoigner d’une réalité et « d’un âge d’or » que des clichés si pressants envoient déjà voguer sur les mers du monde et arpenter les terres les plus inhospitalières.
Un journalisme d’outre tombe pour certains, une recherche perpétuelle pour d’autres.

Une certaine idée et finalement une certaine pratique du journalisme ont-elles disparu ?

Selon Christian Brincourt, ce n’est pas que ce journalisme n’existe plus « c’est qu’il est devenu extrêmement rare et fractionné. »
Il est devenu « rare en exécution », du fait de « la multiplicité des moyens techniques » pour le professionnel. D’autre part, et on serait tenté de dire, surtout, le public est au cœur d’un système dans lequel le mot « rapidité » est prépondérant. « Le numérique » y a fortement contribué.

La rapidité d’exécution est donc l’élément le plus notable fondant ce nouveau journalisme ?

Durant les années 60 et 70 « nous avons connu un véritable âge d’or ». « Les journalistes prenaient beaucoup de temps ». Ce ne sont pas simplement eux qui décidaient de le prendre. On leur accordait. A en croire Christian Brincourt, il semble d’abord que les exigences n’étaient pas les mêmes. Les directions de l’information mettaient d’abord l’accent sur certaines exigences. Demandes « d’investigation » et « d’analyses » approfondies étaient les maîtres mots.
Cela constitue une différence indéniable avec les réalités actuelles où prime « le traitement des faits ». Désormais la priorité est donnée par les professionnels de l’information au « factuel ». Globalement il n’est plus demandé de « s’intéresser aux causes » de ces faits.

Peut-on pour autant pointer du doigt ces seuls professionnels ? La question de l’évolution des exigences du journalisme resterait dans cette perspective dans le seul champ clos de ce petit monde médiatique ?
Si selon Christian Brincourt, « la rapidité » et « le numérique » ont fait évolué la profession, qu’en est-il de ceux qui, finalement, en dernier recours, donnent les bons et les mauvais points : le public ?


La différence fondamentale réside dans « la disponibilité du public ». Celui-ci n’aurait « plus le temps de prendre son temps ». C’est une donnée générale, propre à toute la société. Il ne disposait pas dans les années 60 et 70, de « 200 chaînes » comme aujourd’hui. Le public s’institue en consommateur, en arbitre, et finalement en véritable censeur pouvant à tout instant couper court à un programme. L’information était concentrée sur le 20h, « la grande messe » ou toute la famille alors à table « s’arrêtait la cuillère en l’air. » Un phénomène qui se concrétise au détriment d’abord « de la presse écrite » car « les gens n’ont plus le temps de lire ».

La réponse d’Edwy Plenel avec son projet MédiaPart (prévu pour l’après municipales, fin mars 2008) ne participe t-elle pas d’une résurgence des valeurs du journalisme propres à « l’âge d’or » auquel Christian Brincourt faisait référence ? Peut-on estimer que cette initiative va être consciente ou non, le flambeau de ce journalisme ?

Les points de désaccord que Christian Brincourt fait entendre sont dans un premier temps d’ordre affectif. « Quand j’achète un journal je le tiens dans la main. J’ai envie d’avoir les mains noircies par mon journal. » Il y a un « côté tactile et charnel du journal ». Un élément qu’Internet peut difficilement concevoir et créer.
Le site internet comme remplaçant et élément de destruction créatrice d’un ancien modèle de journal, en l’occurrence, le journal papier ne fait donc pas long feu selon lui. Je ne vois pas les gens une fois « rentrés chez eux payer pour s’informer ». Une affirmation qui contredit la réalité même du journal, lui-même payant.
Néanmoins la question d’ordre pratique qui se pose, c’est de savoir si les demandeurs d’information plutôt que d’aller payer leur journal au kiosque le matin avant de partir travailler, ou le soir en rentrant, préfèreront rester devant leur ordinateur et payer le droit d’entrée.
Ces perspectives fondent une double difficulté, pratique et de l’ordre des habitudes. Il est certes peu probable et finalement inconfortable pour quelqu’un qui a l’habitude d’aller acheter son journal dans le kiosque de révolutionner ce qui relève de son éducation et de sa socialisation.
Toutefois, qui dit « socialisation et éducation », ouvre dès lors les portes aux générations futures dont l’habitude pourra être soit renouvelée, soit bouleversée.

L’échec de ce format d’information dans un avenir à court et moyen terme ne se heurte donc pas frontalement à cet élément. Qu’est ce qui peut véritablement empêcher le succès d’une telle initiative ?

Selon lui ce format d’information a un avenir dans le cas d’un évènement importance. Il s’agit alors dans ce cas d’un complément d’information valable. Christian Brincourt ne fait-il pas fi cette fois des réalités actuelles. Quantité de citoyens puisent leur source d’information essentielle dans l’internet.
Reste l’argument sentimental, fragile et en même temps d’un écho véritable. « Un journal ça se paye évidemment, mais ça s’acquiert surtout, çà se laisse traîner sur la table, et ça se relit… »
Pour lui la question de la viabilité de ce projet réside dans la qualité de sa propre justification.
Comment justifier l’existence d’un site internet d’information payant alors même qu’à côté fleurissent les sites d’information gratuits qui ont un sujet complémentaire avec l’information obtenue par un autre biais. On peut toutefois penser que la réponse est inhérente à sa question.
L’objectif d’un tel projet ne peut être que de devenir la source majeure d’information et non une complémentaire et supplémentaire. « Il faut qu’il soit vraiment performant et qu’il ait des trucs vachement exceptionnels » mais « qu’est ce qu’il peut faire mieux que les autres ? »
« Si on paye il faut une valeur ajoutée », un « complément très spectaculaire qui soit ensuite repris par toutes les autres sources d’information. »

L’avenir de ce projet tient donc principalement dans son contenu. Le contenu est en question.
« Il faut pouvoir vendre une information que vous trouverez là et pas ailleurs », cela justifierait alors le fait de devoir payer pour y accéder. Le problème c’est que non seulement il faut que ce soit « quotidien » mais quasi en direct, « d’heure en heure », en simultané.
Si le public « retrouve 5% d’une information privilégiée sur le site et que le reste il le trouve dans tous les autres médias, ça paiera pas, les gens auront l’impression d’être floués »


Une des justifications au projet MediaPart résidait dans le choix de refuser une collusion, un mélange des genres entre entre le politique et le médiatique. Un thème porteur au moment des élections présidentielles de 2007, porté notamment par François Bayrou et dans une certaine mesure par Ségolène Royale. Une collusion qui doit avoir certaines répercussions sur le travail des journalistes. Pour autant est-ce véritablement un phénomène nouveau, propre à notre époque. Quelle expérience en a eu Christian Brincourt tout au long de votre carrière ?

Christian Brincourt insiste d’abord sur le fait qu’il a travaillé principalement « pour la radio et pour la télévision ». Une manière étonnante d’affirmer que la censure politique n’a eu qu’un faible écho sur son travaille et donc d’avancer qu’elle est d’abord le fait de la presse écrite.
Pour autant, la censure dont il nous parle dans un premier temps est celle propre à son cadre de travail. La censure « au moment des conflits, dans les putschs, quand les pseudos généraux voulaient voir ce qu’on envoyait à nos rédactions par rapport à leurs actions ».
Un petit détour qui nous amène à pouvoir mieux considérer plusieurs types de censure. Celles qui conduisent certains journalistes à être emprisonnés comme lui à Berlin pendant la guerre froide, au Viêtnam dans les années 70, à Beyrouth au moment de « la guerre des six jours ». Dans son cas la censure puis l’emprisonnement se justifiait par un refus de « donner mes sources », et « d’adhérer à une direction unilatérale qui était quasiment ordonné par les gens qui avaient pris le pouvoir. »
Quand il va au Viêtnam, il dispose d’une « liberté d’action ». Il est « officier dans l’armée américaine », et a « accès à tous les hélicoptères » qui montent sur le front : « on a accès à tout ». « On avait accès à ce qu’on voulait couvrir. Aujourd’hui l’accès est réglementé à outrance. J’ai même été contacté par les américains pour un poste de coordinateur dans l’espace média, en Irak. ». «Vous ne pouvez plus bosser aujourd’hui sur un conflit. »

N’est-ce pas prendre le problème à l’envers, ou partiellement, que de mettre en avant l’unique gestion par les belligérants des médias ?

Ce qui est vrai c’est qu’au-delà des évolutions des conflits et des stratégies militaires dans lesquelles le terrorisme et la guérilla rentrent, « un autre changement d’envergure a fait son apparition depuis la 1e Guerre du Golfe. » « Durant ce conflit j’ai vraiment pris conscience de ces bouleversements dans notre métier. Principalement de ceux liés à l’importance considérable, prise, par les médias dans l’histoire du monde ».
Une importance qui se vérifie dans toutes les sphères et tous les domaines, pas seulement au niveau des conflits. Ce phénomène est global et touche l’ensemble de nos sociétés occidentales.
Désormais il existe une vraie « frénésie médiatique ».
Sous des aspects différents, la récente couverture de Paris Match de la ministre de la Justice en robe Dior dans une suite payée par les soins du journal montre une tendance négative pour le journalisme et pour les liens qu’il entretient avec les sphères du pouvoir. « Est-ce le boulot du Garde des sceaux de poser comme une starlette ? »

Mais la censure, aujourd’hui largement répandue dans les conflits d’importance et de moindre importance, une moindre importance qui entre parenthèses, est fonction du nombre de projecteurs braqués par les médias sur le terrain en question, existe aussi sur le terrain national. C’est d’ailleurs une des justifications au débat qui entoure le projet de Média Part. Quel est le sentiment de C.Brincourt ?

« Je pense que l’autocensure est une réalité qu’on oublie mais qui pèse d’un poids formidable dans ce débat. En tout cas elle se pratique beaucoup plus aujourd’hui qu’à mon époque. » Ne pas déplaire serait donc une préoccupation majeure de nombre de médias.
« L’affaire Genestar » à Match aurait selon lui contribuer à ce phénomène. Un bref rappel des faits s’impose.
« Pascal Rostain les (ndrl : Cécilia Sarkozy et Richard Attias) planque et fait la photo. Genestar, le patron de Match, passe cette photo à la Une de Match. La seule chose qu’il avait oublié c’est que Sarko a dans son premier cercle d’ami Arnaud Lagardère à qui appartient Match. Arnaud Lagardère qui avait placé lui-même Genestar avait passé un accord avec lui, lui faisant prévaloir qu’il avait entière liberté sur la publication dans la limite des couvertures sensibles. Dans ce dernier cas, il devait alors en parler au préalable à Lagardère. Il publie la photo avant d’en parler à Lagardère. Il met Lagardère dans une position difficile par rapport à son vieux copain Sarkozy. (…) Sarkozy lui demande la tête de Genester. Cà prend un an mais il lui donne. »

Ce qui veut dire que « désormais, tous les directeurs de journaux à travers l’affaire Genestar tremblent. Car ils se disent si moi je sors à la Une de mon journal, une photo volée de ce style, je vais peut être sauter aussi : il y a une sorte de chape de peur qui s’est installée. Genestar n’est plus rien aujourd’hui, il a ouvert une galerie d’art dans Paris alors qu’il était l’un des hommes les plus puissants de France. »
La question de la carrière se pose pour tous ces hommes et femmes de presse. La volonté de ne pas déplaire est donc au centre des préoccupations.
Dans le même sens, le choix de Match d’enlever un bourrelet disgracieux « ne relève pas d’une demande Elyséenne mais d’une initiative personnelle d’un journaliste, responsable de la maquette, pour plaire. »


Plus tôt Christian Brincourt parlait d’emprisonnements de journalistes lors de la couverture de conflits, pour avoir refusé de donner leurs sources. Pour autant, à la lumière de l’affaire Guillaume Dasquié, doit-on considérer que de telles pratiques ne sont utilisées que dans de ce genre de circonstances exceptionnelles et extrêmes ?

Ce journaliste a notamment écrit dans Le Monde un article intitulé, « 11 septembre, la France en savait long. » Arrêté chez lui par la DST, puis interrogé sur ses révélations sur le 11 septembre 2001 et sur l’affaire Borrel, il a finalement été mis en garde à vue. Il a toutefois révélé une de ses sources, certes intermédiaire.

Ce qui frappe Christian Brincourt d’abord, et de manière très étonnante, c’est l’oubli des règles déontologiques de base pour un journaliste. Il serait dès lors entré dans un « tête à tête avec sa conscience ».
Pour lui, « chacun est dans son jeu », notamment « l’Etat et la police d’enquêter sur les origines des fuites surtout lorsqu’il s’agit de lutte antiterroriste ». Seul le journaliste aurait finalement oublié le sien. Il a révélé sa source alors même qu’il savait en enquêtant sur ce sujet sensible, les risques et les réactions de chacun, à commencer par celles de la police.
D’autres journalistes ont fait de la prison pour avoir refusé de révéler leurs sources. « Chacun connaît les risques du métier avant de s’engager, et chacun est libre de s’engager dans une enquête telle que celle-là. »
Chacun sait quel type de cartes tous les joueurs sont capables de jouer, notamment « les pressions pouvant être exercées sur les familles des journalistes. »
Cette position étonne tant elle possède tous les relents du « jusqu’au boutisme ». Elle étonne mais il faut considérer pour la comprendre, la manière dont C.Brincourt conçoit son métier. La prise de risque, l’engagement personnel, et la responsabilité personnelle en sont des éléments fondamentaux. Tout journaliste doit dès le départ en être conscient et pénétrer le champ des affaires sensibles en connaissance de cause. Cette logique si elle peut déranger n’empêche cependant pas C.Brincourt, de regretter un certain silence de la part de Reporters Sans Frontières.
D’autant qu’en la circonstance, Guillaume Dasquié travaillait comme pigiste. A ce titre, il était donc seul et ne pouvait pas, par conséquent, compter sur le soutien de son journal, ni, et devrions nous dire, surtout, sur la responsabilité du directeur de la publication.


Le dernier point que nous tenions à aborder avec Christian Brincourt se reposait sur la nature même du journalisme qu’il réalisait. Parlant maintes fois d’âge d’or, nous étions tenté de penser que s’il y a « âge d’or » il doit aussi y avoir logiquement un « âge du pessimisme ». Un temps nécessaire pour mieux préparer l’avenir du grand reportage ? Reprenant les propos de Michelle Lines, grand reporter pour TF1 lors d’une conférence à l’ESJ Paris, nous voulions avoir son sentiment sur le déclin qui envahissaient les rédactions et plus particulièrement les envoyés spéciaux.

Christian Brincourt s’accorde à penser qu’effectivement s’il fallait choisir une époque pour devenir « grand reporter », il fallait avoir le bon goût d’arriver dans les années 60. Non content d’asséner ce véritable coup de massue aux journalistes pourtant tentés par cette voie, il s’explique. « La profession est en train de changer progressivement ».
D’abord il faut mettre en cause la volonté des principales chaînes de télévision. Elles sont en effet « de plus en plus réticentes à envoyer des journalistes à l’étranger. » Celles-ci préfèrent « faire appel à des bureaux indépendants » déjà en place. Le phénomène des bureaux est une réalité du métier, certains travaillant même pour « 25 médias différents. » TF1, à titre d’exemple, travaille avec un bureau, notamment pour les enquêtes qu’elle souhaite mener en Allemagne, en Inde ou même en Chine.

Pour autant est-ce la fin des envoyés spéciaux ?

« Aujourd’hui il est impensable de partir plusieurs mois durant » comme lui-même l’a fait à maintes reprises. « Cela coûte trop cher » pour les rédactions des différentes chaînes.
« Une équipe classique qui quitte TF1 pour une journée ou qui part sur des théâtres d’opérations lointains, c’est un preneur de son, un caméraman, un journaliste, sachant que de plus en plus il n’y a plus de preneur de son, le caméraman faisant office de preneur de son. Cela coûte aujourd’hui, j’en parlais avec le patron des grands reportages caméra, Gérard Bernard, 1500 euros. On a, à TF1, 40 équipes qui partent chaque jour de l’année. C’est 65000 euros par jour. Plus, lorsqu’on part loin, le voyage, les frais d’hôtel, et surtout les frais satellites. En somme avant qu’une équipe parte sous la signature d’un directeur de l’information ou d’un rédacteur en chef des Grands reportages, vous pensez bien que l’information est étudiée attentivement pour savoir si on envoie ou non quelqu’un. Moi je n’ai pas connu cette période. A mon époque on partait peu importaient les frais. Quand je pars faire l’ascension de l’Everest avec Mazeau et une équipe Télévision, on part 3 mois et demi. C’est impensable aujourd’hui. Quand une équipe part 5, 6 jours aujourd’hui, elle doit couvrir non seulement l’histoire pour TF1, mais aussi pour LCI, pour Internet, et de temps en temps pour France 24. C’est 22h sur 24 de travail."

Ce discours parait fort paradoxale à l’heure où TF1 devrait bénéficier de la force de l’Empire Bouygues mais aussi de sa position de leader en Europe. Sans se concentrer uniquement sur la situation de TF1, n’est-ce pas, plus généralement, un refus de mettre les moyens. Alors même, rappelons le que lorsque les grands reporter partaient à l’époque de Christian Brincourt c’était avec des moyens quasi illimités ?

« TF1 est avant tout une chaîne commerciale. L’info pour eux se résume à la grande messe du 20h. Vous n’avez plus une seule émission de grand reportage sur TF1. Plus une seule. Les émissions comme 7 à 8 le dimanche sont faites par la maison de production de Michel Field et non par TF1. Ce sont des vendeurs de couches culotte et de lessives. Avant que Bouygues nous achète, on avait des critères de qualité, c’était le service public, peu importait que ce soit vu par 10 personnes. Certains grands reportages que je faisais étaient même diffusés en prime time sur TF1, à 9h. Rassurez vous, ils viennent de sortir en dvd les reportages de l’émission 5 colonnes à la Une…»
Les sorties sont aujourd’hui minimes. Seule France 2 conserve quelques rares sorties possibles avec l’émission Envoyé spécial. Tandis qu’à TF1, l’unique émission de documentaire reste celle de Charles Villeneuve, le droit de savoir.
Quelle voie de sortie pour les grands reporters ? On peut considérer que le documentaire journaliste est la voie de demain. Hier « parent pauvre du journalisme », il pourrait bien s’agir demain de la seule possibilité de réaliser des sujets de fond et d’investigation. Le problème n’est toutefois pas complètement résolu. Il reste en effet à pouvoir s’assurer d’une possibilité de diffusion. L’essor des chaînes thématiques serait-elle l’un des éléments de réponse. Si elle ne dispose pas de rédactions réellement étoffée, ni des moyens financiers véritables, elles apparaissent comme la meilleure réponse à l’offre nouvelle de documentaire.



Christian Brincourt en quelques dates:

Christian Brincourt est né le 27 Juillet 1935
1960-1971 : Grand Reporter à RTL - Présentation des journaux parlés de 6, 7, 8, 9 et13 heures.
1971 : Grand Reporter à l'ORTF, puis Antenne 2 et TF1
1987 : Chef du service Grand Reportage
1989 : Rédacteur en Chef adjoint à TF1
Depuis 1991 : Rédacteur en Chef et Chef du Service des Grands Reportages de TF1
Envoyé Spécial de TF1 sur les conflits internationaux, du Vietnam en 1971 à la Bosnie en 1998. A couvert l'Algérie, la Guerre des 6 jours, celle du Biafra, le Kippour, le Katanga et le Congo
Spécialisé dans les Magazines d'investigation de 26 et 52 minutes
Il prend sa retraite 1998

un article de Sébastien Deslandes