vendredi 21 décembre 2007

Retour sur les manifestations étudiantes contre la LRU

Face aux récents mouvements étudiants en France et en particulier à la Sorbonne, nous devons tous, personnel administratif, professeur, étudiant, faire preuve de lucidité.

Nous sommes arrivés à une situation inextricable, qui voudrait que d’un côté, le gouvernement et les présidents d’universités soient dans une dynamique de réforme et de modernisation des facultés. Et que de l’autre côté, les syndicats dispersés et la jeunesse qui, faute de ne pas être entendu par le pouvoir établi, organisent la contestation et la lutte contre la réforme LRU. De ce dialogue de sourds en résulte un mouvement étudiant inaudible, peu couvert par les medias et qui en arrive à une action d’ultime recours : le blocage des universités. Certains estiment, à juste titre devant la fin de non recevoir des responsables politiques et universitaires, que le blocage est aujourd’hui le seul moyen d’action efficace pour se défendre contre l’administration et se faire entendre de l’opinion publique. Naissent dès lors des catégories superflues d’étudiants « bloqueurs » et « anti-bloqueurs ». La peur ou la colère se lisent sur tous les visages. Les CRS écoutent aux portes. Des procès d’intention stériles pleuvent entre ceux désignés comme réformateurs et ceux dits conservateurs. La division s’installe donc, de façon sinueuse et progressive, au sein même de la vie universitaire et des étudiants. Dans le même temps, la LRU, elle, existe toujours et certains décrets d’application ont d’ores et déjà été adoptés.

Sans rentrer dans un parti pris quelconque, ni dans les détails de la loi LRU aujourd’hui contestée par les étudiants, les chercheurs et les enseignants, regrettons premièrement que cette réforme ait été discutée et votée dans une période de vacances universitaire et que nos dirigeants politiques n’aient pas jugé bon engager en amont, comme cela est le cas sur d’autres sujets (grenelle de l’environnement, commission sur les institutions) un grand débat sur l’université. Elle le mérite largement. Il est vrai que nous sommes dans une situation d’urgence. Il est vrai qu’une rupture s’impose après des décennies de tergiversations et d’altermoiements. Mais de grâce, cessons de prendre des décisions vitales pour notre pays dans les palais feutrés de la République. Il s’agit ici d’une exigence démocratique. Redonnons aux forces vives de la nation, étudiants compris, les moyens de s’exprimer dignement et en responsabilité sur l’avenir de l’Université et de la Recherche. Agissons en citoyens libres et respectueux d’autrui. Arrêtons de nous diviser dans des querelles de partis, de personnes ou d’idéologies. Faisons preuve d’imagination certes, tout en conservant ce minimum de réalisme qui permet à une idée, à une originalité de vivre et d’exister.

Je voudrais pour conclure, concentrer mon propos sur un point en particulier. La réforme dite LRU soulève grosso modo, la question du financement des universités. La logique est la suivante : étant donné le déficit de nos comptes publics, le gouvernement actuel souhaite introduire les entreprises du secteur privé qui le voudront au sein du Conseil d’Administration de l’Université afin qu’elles participent et augmentent le budget de celle-ci. Par principe, je suis pour le mélange des genres comme des cultures. S’il s’agit de faire appel à la générosité de grandes entreprises pour améliorer les conditions d’existence des chercheurs, professeurs et étudiants, ainsi que les moyens de nos facultés, comme c’est le cas dans le domaine de l’art et du patrimoine avec le mécénat, alors l’entreprise a toute sa place à l’université. S’il s’agit en revanche, d’influencer les programmes universitaires, de censurer certains travaux de recherche jugés peu académiques, de supprimer des filières considérées « peu rentables », d’instituer la sélection en augmentant les frais d’inscription ou en instaurant un niveau de notes éliminatoires dès la première année universitaire, alors il n’en est pas question. Non pas parce que je suis anti-capitaliste, communiste, ou encore anarchiste. Mais parce que je suis démocrate, donc contre toute forme de censure et d’arbitraire. Et républicain, donc contre toute idée qui consisterait à ne pas donner sa chance à chacun d’entre nous, quelque soit notre pays d’origine, notre confession, ou notre niveau social. La question est de savoir si la loi LRU donne des garanties suffisantes pour le respect de ces principes républicains indéfectibles. Certains le pensent, d’autres non. Le gouvernement se doit par conséquent de clarifier ce doute sans quoi le débat ne peut progresser.

Une fois la question du financement des Universités surmontée, posons-nous la question de son utilité. Je considère que l’État doit mettre davantage l’accent sur l’orientation et la formation. En sciences humaines par exemple, les filières sont beaucoup trop générales. Elles devraient proposer, dès la deuxième année, davantage de spécialisations. Aujourd’hui, le système veut que l’Université prépare aux métiers d’enseignent et de chercheur. C’est une faute. Elle devrait élargir ses compétences à d’autres activités pour être davantage valorisées sur le marché du travail. Ces filières ne doivent pas, bien entendu, être sélectives ni en terme de ressources financières ni en terme du niveau d’étude de l’étudiant. Elles doivent être ouvertes à tous. Elles doivent offrir la possibilité aux étudiants qui ne souhaitent pas devenir professeurs ni chercheurs, de se préparer à d’autres métiers dans le domaine du patrimoine, de l’environnement ou de l’édition par exemple. Elles doivent également permettre aux étudiants qui le souhaiteraient, de publier régulièrement leurs travaux sur les sites internet des centres de recherche concernés, de façon à valoriser leurs efforts et enrichir le débat public. Enfin, pendant la très longue période de vacance d’été, les filières universitaires doivent proposer aux étudiants qui se porteraient volontaires, des stages rémunérés ou indemnisés, dans la fonction publique et le secteur privé, afin de les sensibiliser au monde du travail et de leur permettre de déterminer quelle profession ils souhaiteraient exercer plus tard. Ces dispositions existent, mais elles sont trop peu nombreuses et donc beaucoup trop sélectives. L’État doit démocratiser voire généraliser ce type d’initiatives.

Voilà donc quelques propositions qui mériteraient davantage d’explications et de détails. Il n’empêche que si une action aussi radicale que le blocage soit justifiée ou non, elle doit aussi être accompagnée d’une démarche constructive et rationnelle. N’oublions pas que ceux qui au moment de la Révolution française, se battaient pour la fin de la monarchie, avaient la République. Que ceux qui luttaient pour l’abolition des privilèges, avaient le texte des Droits de l’Homme et du Citoyen. Que l’esprit de la Révolution se perpétue, passionné et raisonné à la fois.

un article de AC