jeudi 20 décembre 2007

Sarkozy "Monnet" son Union Méditerranéenne

Sarkozy « monnet » son Union Méditerranéenne

Les plaisirs de la diplomatie.
Aller au Maroc et il faut affronter la susceptibilité de Rabat de n’avoir été que la destination de clôture de la mini tournée du Maghreb post présidentielle, au bénéfice d’Alger la rivale. Aller en Algérie et vous devrez diluer la peu gouttée position française pro marocaine sur la question du Sahara Occidentale dans un bain de juteux et prometteurs contrats.
Bref, il faut ménager tout le monde et consentir à apaiser les esprits. Que de ronds de jambes. Quand bien même la tension redoublerait et qu’un ministre de la République algérienne chercherait à s’aguerrir dans l’art de la provocation.

La faute à l’Union de la Méditerranéenne ? Pas uniquement, mais chemin faisant, l’UM rencontre le scepticisme. Ce n’est donc pas l’heure d’oublier sur le bord de la route les rares capitales soutenant le projet présidentiel.
Car depuis le solennel, lyrique et fondateur discours de Tanger du 23 octobre 2007 jusqu’au sommet de Marseille des 11 et 12 juin prochains, il s’agit de convaincre. Convaincre de la viabilité des projets concrets à « géométrie variable » et de la pertinence des secteurs choisis. L’environnement, la sécurité, l’économie (une agence de développement en faveur des PME-PMI), les finances (une caisse des dépôts utilisant les capitaux des travailleurs migrants) et le social sont les élus. Ses adversaires ou tout au moins, ses critiques sont nombreux.
Du côté des experts d’abord. Pour Barah Mikaïl de l’IFRI, le projet de Nicolas Sarkozy fait fi de la réalité géopolitique. L’espace méditerranéen est a priori peu disposé à engendrer l’unité désirée. Du conflit israélo-palestinien, à la crise syro-libanaise en passant par les velléités iraniennes, la guerre en Irak ou les divisions politiques du Maghreb, le terrain n’est pas forcément enchanteur : le plus bienfaiteur pour un tel dessein. Son défenseur vous répondra toutefois qu’une logique si négative aurait été une entrave à la construction européenne et à la réconciliation franco-allemande, difficilement envisageable au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Du côté des Etats récalcitrants, plusieurs catégories se dessinent. D’une part les Etats non riverains du nord. A l’image de l’Allemagne, moins concernée, ils ne manquent pas de dénoncer leur exclusion et le risque de régionalisation contraire au projet européen et à sa politique extérieure. L’initiative française est même perçue comme brutale, et on digère mal du côté de Berlin l’idée de financer le retour de la France au cœur de la Méditerranée. Une attitude critique que Berlin pourra à loisir partager avec Londres. Pour l’instant en retrait, la Grande Bretagne semble être en effet son allié de demain. Néanmoins, le projet semble pâtir de sa propre mise en route et de son unilatéralisme. L’initiative décrit finalement une Union Européenne au sein de laquelle, un Etat membre prend sans concerter sa communauté une décision. Or cette décision embarque pourtant tout le monde sur le même bateau. Et finalement cette décision créé un malaise sur la réussite d’une construction européenne que N.Sarkozy s’évertue pourtant à vanter pour convaincre du bien fondé de son idée.
Du côté des Etats du sud, c’est l’embarras. Bien sûr, il y a le président grec Karolos Papoulias pour considérer l’UM comme « une très bonne idée ». Mais du côté italien et espagnol, l’incompréhension fait le guet et l’hostilité règne. On apprécie peu tant à Rome qu’à Madrid d’être à la remorque de Paris. On s’interroge surtout sur l’avenir réservé au processus de Barcelone. D’autant que ce partenariat pose sur un pied d’égalité des accords d’association entre l’ensemble des membres de l’Union européenne et les Etats du sud et de l’est de la Méditerranée. Le défenseur de l’UM vous répondra alors qu’aux sus et aux vues de tous, le processus barcelonais lancé en 1995 est au point mort. Il s’agit dès lors de renouveler, de moderniser les relations entre ces Etats pour répondre aux enjeux globaux de demain.
Du côté des Etats concernés et non européens, comme le fait remarquer Jacques Mitral, directeur des études économiques de l’IFRI et membre du Cercle des Economistes, il leurs est difficile de s’opposer à « une relance politique de la relation euro-med ». Toutefois, là encore, la méthode Sarkozyenne a étonné et détonné. Lorsque le journal marocain « La Nouvelle Tribune » qualifie le projet d’UM de « mirage » et de « coquille vide », il répond certainement aux interrogations des Chancelleries. Si le ministre égyptien des affaires étrangères, Ahmed About Gheit, décrète qu’il s’agit « d’une vue de l’esprit » et regrette qu’il ait été lancé « sans consulter personne », le secrétaire général de la Ligue Arabe, Amr Moussa, demande « ce qu’il y a dedans ». Ce sont en fait les contreparties aux incontournables demandes sur l’immigration ou la lutte contre le terrorisme qu’ils attendent de voir s’éclaircir.

Le président Sarkozy peut néanmoins compter sur le président tunisien Ben Ali qui a réitéré son soutien même s’il a ajouté fort logiquement mais cela sonne aujourd’hui comme un reproche, qu’il voulait aussi contribuer à la définition des contours et des objectifs de l’UM. Il peut aussi s’appuyer sur la ferveur du roi du Maroc, Mohammed VI qui depuis le lyrisme de Tanger affiche plus encore son soutien. Les détracteurs de l’UM sont pourtant présents au Maroc. Ahmed Mottassime et « La Gazette du Maroc » complètent les suspicions d’une partie de la presse du Royaume en évoquant les difficultés qui inévitablement vont surgir depuis la Turquie. Il semble que son premier ministre, M.Erdogan, n’a pas attendu la presse marocaine pour voir dans ce dessein, un alibi contre l’entrée de la Turquie dans l’UE. L’équipe Elyséenne ne semble pas en être surpris outre mesure. Henri Guaino a déjà prévu d’envoyer l’ambassadeur Alain Leroy pour déminer le terrain. Il est à parier que celui-ci va s’évertuer de convaincre que rien de rien n’est désireux d’attirer Ankara loin de ses vœux européens. Que représente toutefois la force de conviction d’un homme face à qui apparaît comme un véritable secret de polichinelle, déjà répandu jusqu’aux bords du Royaume de l’Atlas.


un article de Sébastien Deslandes