jeudi 27 décembre 2007

Washington : penser déjà à l’après Bush



George W Bush termine son mandat dans un long soupir. La créature, accablée, a rendu définitivement l’âme au mois de décembre 2007, date de la fin de son rôle décisif dans la vie politique américaine. Son itinéraire présidentiel est étrangement similaire à celui d’une vieille connaissance, Jacques Chirac : début de règne morne et décevant, sans réelle vista, puis un événement décisif (11 septembre/ 21 avril 2002) dont tous deux ne se sont vraisemblablement pas montrés à la hauteur. Les Etats-Unis version 2007-2008 vivent là encore à un rythme que la France a connu en 2006-2007, imposé non pas par le pouvoir exécutif mais par des candidats y prétendant.

Aucun d’eux d’ailleurs, républicains compris, ne semble vouloir se ranger dans la continuité du Président Bush. Quel que soit l’évolution de la situation en Irak, l’impopularité de ce dernier est telle que son nom n’est que rarement évoqué. Lorsqu’il l’est, une sorte de règle non-écrite veut qu’il faille toujours l’accompagner d’une remarque insultante vis-à-vis de Donald Rumsfeld, ex-Ministre de la Défense et sans jamais se départir d’un timbre triste, désenchanté : « I know our boys are dying… but the war was mismanaged. It wasn’t unfair ! »[1]. John Mc Cain, candidat républicain en hausse actuellement dans les sondages, entonne cet air fréquemment. La pilule irakienne est délicate à avaler pour tous les prétendants. Pourtant son discours, très critique quand on pense qu’il vient d’un proche, se rapproche le plus d’un soutien à l’Administration en place, fait très rare à Washington : ces 80 dernières années, il y a toujours eu un Président ou un Vice-Président pour défendre l’héritage des partants (legacy) aux Primaires d’un des deux partis. George Bush n’aura que sa bibliothèque présidentielle pour se défendre et comme seul appui son VP Dick Cheney, lui aussi un bien curieux futur retraité.

Pour mieux cerner le contexte actuel, le parallèle Bush-Cheney/ Nixon-Kissinger est pertinent. La fin d’un mandat (surtout de huit ans) s’accompagne toujours de défections, mais rarement dans les proportions (et la manière) connues par Bush et Nixon. La liste des principaux disparus parle d’elle-même dans le cas du premier qui nous intéresse ici : Colin Powell, Richard Armitage (tous deux discrédités par les introuvables WMD’s[2]), les deux Paul, Wolfowitz et Bremer (que dire ?), Scooter Libby (dont le procès a failli se transformer en Watergate bis), le Général Ricardo Sanchez (défait par Abu Ghraib), Rumsfeld (haï par les militaires), Karl Rove (l’ami fidèle, génie électoral), sans parler de la quantité de porte-parole démissionnaires, un job visiblement intenable sous l’ère Bush. Le propre de ces départs c’est qu’ils furent presque tous précipités, décidés par une succession d’évènements ne jouant pas en faveur de la Maison Blanche. La Présidence a d’un côté élargi ses pouvoirs mais paradoxalement réduit aussi sa marge de manœuvre par des décisions inefficaces et malheureuses.

Le but des candidats républicains et démocrates est de convaincre le public qu’ils peuvent inverser cette tendance, reprendre le contrôle de l’économie comme de la politique étrangère américaine. Des deux, quel sera le grand déterminant des élections à venir ? La plupart des commentateurs s’accordent à dire qu’il ne s’agira pas de l’Irak, en amélioration constante depuis le mois de septembre et la stratégie du Général Petraeus. Les attentats se réduisent et le nombre de GI’s tués s’amenuise considérablement. Quant à l’Iran, le NIE (National Intelligence Estimate), rapport analytique des services secrets rassemblant l’expertise de quatorze agences de renseignement, conclut à un arrêt en 2003 de la production de bombes nucléaires. Même si cette information est loin, très loin de rassurer la Communauté internationale (et de la renseigner complètement), il s’agit d’un coup de grâce pour l’entourage de Cheney et sa position dans l’Administration Bush. Quel que soit la réaction (attendue) du Pentagone, plus faucon que d’autres corps, George Bush ne mènera certainement pas un troisième combat au Moyen Orient, faute de légitimité quant au casus belli.

En fait c’est l’économie qui suscite toutes les attentions électorales et une vraie angoisse des ménages américains (cela nous concerne aussi). La crise des « sub-prime », provoquées par l’octroi par les banques privées de crédits immobiliers sans évaluation correcte des risques (la chute des prix faisant éclatée cette erreur probablement volontaire) met en cause l’ensemble de l’édifice économique des Etats-Unis. Si les taux d’intérêt continuent de grimper, au même rythme que le prix du baril et le coût de la vie (le mot inflation est plus effrayant que le nom Ahmadinejad), la consommation nationale, sur laquelle repose 70% de la croissance outre-Atlantique, ne pourra que s’effondrer. La récession a déjà commencé. Sa durée et son intensité demeurent un mystère récurrent.

Aussi la question se pose : la puissance américaine connaitrait elle ses premières faiblesses ? Les Etats-Unis perdent ils confiance ? Vue d’Europe le monde semble échapper à nos amis américains. En concentrant ses efforts au Moyen Orient sur deux Etats, l’Afghanistan et l’Irak, tout en laissant une large autonomie aux autres (Israël, le Pakistan et l’Arabie Saoudite en particulier), la stratégie de « démocratie armée » se révèle être un échec grave. En Asie, la soi-disante ouverture du régime nord-coréen ressemble vaguement au scénario mensonger acheté par Clinton en 1994. L’accord nucléaire signé avec l’Inde ne semble pas devoir être voté par le Parlement indien en raison d’un tollé communiste. Une autre réaction de rejet a lieu au Japon où le débat national se focalise sur l’autorisation ou non du ravitaillement de la « Navy » américaine dans l’Océan Indien. Comme l’Inde, la Chine s’éveille, consommant toujours plus de pétrole, ce qui n’est pas sans incidence sur l’économie US : les pays émergents, malgré la récession américaine, font monter le prix du baril. Il est révolu le temps où les Etats-Unis corrigeaient leurs baisses de régime « en passant un coup de fil à un ami », saoudien par exemple ou à Alan Greenspan, ancien directeur de la Banque Centrale.

Néanmoins le pessimisme est loin de gagner Washington, avec raison il nous semble. Le pays est en constante hausse démographique grâce à l’afflux d’immigrants latino-américains, relativement bien acceptés et intégrés dans la société nord-américaine. Très pratiquants, ils sont l’une des raisons du retour du religieux et font des efforts pour parvenir au « rêve américain ». Sur le plan économique les déficits creusés sont importants mais les bases du capitalisme américain sont solides (plein emploi, croissance toujours élevée, investissement record dans la recherche et l’innovation). Certes ils n’ont plus la même maitrise des flux internationaux qu’avant mais cette situation correspond précisément à l’idéal américain d’expansion de l’économie de marché. L’Internet est un exemple frappant de cet esprit de liberté.

La puissance militaire reste, elle, quasi intacte. La Chine est largement derrière à tous les niveaux, quantitatif et qualitatif, et dans tous les secteurs opérationnels, sous-marins, avions, infanteries… La Russie de Poutine bombe le torse mais l’épuisement des ressources pétrolières et sa démographie en chute libre ne lui permettra de retrouver son statut de grand compétiteur de la Guerre froide. Quant au Moyen Orient, l’image des Etats-Unis quittant l’Irak, sans trouver de solution politique, marquera les esprits si ce scénario se produit. Toutefois personne n’est inquiet à long terme : il y aura toujours la possibilité de jouer les sunnites contre les chiites malgré le chantage exercé en retour par l’Arabie Saoudite. Plus généralement les Etats-Unis sont les seuls à pouvoir débloquer des fonds d’aide colossaux (10% du PIB pakistanais par exemple) compensant les budgets annuels de nombreux dirigeants incapables et fragiles. Ce simple rappel explique que la première partie du XXIe siècle, au moins, est et restera américaine.

Pour cette raison, les Primaires du parti Républicain et Démocrate fascinent : le choix du leader le plus influent de la planète repose pour l’instant sur l’humeur de quelques milliers de fermiers de l’Iowa et du New Hampshire. D’un côté Hillary Clinton/Barack Obama, de l’autre Rudy Giulani/ Mike Huckabee/ Mitt Romney/ John Mc Cain : place your bet !

Un article de Michael Benhamou

[1] Je sais que nos fils meurent… mais la guerre fut mal gérée. Elle n’est pas injuste !
[2] Armes de destruction massive