mardi 1 janvier 2008

Bernard Thibault: un cheminot chez les réformateurs


La figure est singulière. L’aspect physique de Bertrand Thibault participe de son originalité dans le paysage syndicale et la foule des manifestants.
Si on devait donner une recette pour se démarquer de cette foule de concurrents, le canevas reposerait sur plusieurs éléments.
D’abord soignez votre aspect physique. C’est lui qui appelle le regard avant même que la voix et le discours n’interpellent l’oreille. BT a donc opté pour son style. Gageons qu’il l’a ardemment travaillé. Si l’émissaire de François Chérèque est le bouc savamment taillé autour de la bouche, BT a désigné la coupe au bol dans son dégradé soigné, et sa frange sèche. Un symbole, sa marque de fabrique. Certains le moqueront, d’autres se contenterons de l’apercevoir plus aisément de loin. Tous peuvent admettre que dans n’importe quelle partie du monde, vêtu du plus déstabilisateur déguisement qui soit, si loin de celui d’un patron de la CGT, ils le reconnaîtront sans mal.
Le second élément de choix devrait être la précocité et un goût certain pour gravir chaque étape dans un temps de passage digne d’un champion du monde ès syndical.
Rien ne prédisposait pourtant ce jeune garçon aux hautes sphères de la CGT et à ses luttes sociales. En fait pour cela il a fallu un moule. Ce moule, c’est d’abord le centre d’apprentissage de la SNCF de Noisy-le-Sec. Il en sort deux ans plus tard, à 17 ans, avec un CAP de mécanique générale et intègre le dépôt SNCF de Paris La Villette.
Commence alors son idylle syndicale. A 18 ans, il adhère à la CGT et devient dans une foulée de sprinter, membre de la Commission des jeunes du syndicat. L’ascension ne fait que commencer. Encore tapie à l’ombre des locaux cégétistes, le petit Bernard grimpe.
C’est une véritable course aux titres et aux fonctions. Elle s’avère être sans faute, dans le plus bel esprit apparatchik. Elle se poursuit, régulièrement, sans sourciller. Il a 21 ans lorsqu’il devient secrétaire du syndicat de son dépôt. Il lui faut trois ans de plus pour ravir le secrétariat des cheminots CGT Paris Est. En 1987, il rejoint le Bureau fédéral des cheminots CGT et adhère au Parti Communiste. En 1997, il entre au Bureau Confédéral cégétiste.

Néanmoins la valeur du syndicaliste vaut également par ses prestations publiques, ses victoires dans la boue sociale. Deux dates en sonnent la messe. 1986, c’est la consécration. Un début tout au moins. Durant les grèves qui mettent à mal le gouvernement tout juste nommé de Jacques Chirac, BT impulse le rythme de la mobilisation. Mais surtout il intègre le mode de fonctionnement des coordinations. Un mode de fonctionnement que les syndicats sont pourtant peu enclins à accepter car il inviterait des grévistes non syndiqués dans les délégations et le vote par les Assemblées Générales des principales décisions. Ce qui est en jeu ici c’est bien la refonte de l’organisation de la contestation. Bernard Thibault a 27 ans.
1995, les grèves chahutent la droite et le gouvernement Juppé. BT est encore là, aux premières loges. Il devient l’un des symboles du renouveau de la CGT. Les modes de fonctionnement qu’il avait participé à intégrer dans les grèves de 1986 trouvent dans ces mouvements, leur consécration.
Voilà BT bien pourvu. Il a la coupe, il a le parcours. Il lui restait à acquérir ses victoires sur le terrain, le panache d’une lutte au forceps. Son Pont d’Arcole traversé, il fait face aux militants de la CGT en 1999, lors du 46e Congrès de la confédération. Louis Viannet tire sa révérence, et BT avance. Il est élu secrétaire général du syndicat, le 13e et le 5e d’origine cheminote, 22 ans après avoir rejoint la Confédération. La coupe de cheveux n’a pas eu le temps de changer. Seul le cheveu s’est quelque peu blanchi, et les traits se sont-ils creusés.

Désormais, il porte l’institution cégétiste sur les épaules. Et le bagage cégétiste est lourd. Lourd d’histoire et lourd de clivages profonds. Les grèves du 20e siècle, la 1e guerre mondiale, la révolution bolchevique ou le Parti Communiste sont quelques unes de ces lignes de partage. Elles ont finalement abouti au fossé entre les réformateurs, souvent majoritaires, et les révolutionnaires, anarchistes et communistes. Et conséquences majeures aux scissions de 1921 et de 1947 ainsi qu’à la création de la CGT Unitaire sur les bases des revendications des révolutionnaires. Etrangeté locale, l’opposition entre ces deux courants est encore pleine d’actualité. Les sujets à aborder ont certes changé, dans une certaine mesure. Désormais BT doit se positionner face au PCF et aux liens à entretenir, mais aussi sur la conception cégétiste de « l’avant-garde », ou le principe de la négociation. Il doit aussi affronter le problème des effectifs et du recrutement et adapter au plus vite la confédération en rendant plus lisible et efficace sa complexe structure interne.
Pour satisfaire à ces exigences, BT a un avantage pour lui. Il arrive masqué. Il a été formé dans la plus pure des traditions cheminotes. Celle là même qui a porté les coups les plus durs contre la ligne réformatrice de la CGT. Traître pour les uns, il est pour les autres le meilleur gardien pour pouvoir mener à bien la conversion de la CGT aux données actuelles. Pour les premiers, il sera sans doute encore le parfait client pour recevoir une tête de porc sur le pas de sa porte, ou pour voir son chat égorgé. BT doit faire face. Il n’est pas question ici d’aider BT à monter sur l’autel du héros incompris que la postérité dressera en martyr. Mais soyons certains que si ces agissements, quelque peu extrêmes, sont le fait d’une mince frange de l’opposition, BT s’est lancé dans une course contre la montre risquée. Pourtant l’horloge indique qu’il est grandement temps pour la CGT de choisir sa voie. Celle du réformisme et de la conquête des « déserts syndicaux » du secteur privé ou celle de la simple défense corporatiste « d’une place forte ».


Un article de Sébastien Deslandes.