vendredi 1 février 2008

The rise of the Vulcans, the History of Bush's war cabinet, par James Mann.


A Washington il semble que chaque décennie amène sur le devant de la scène un groupe d’expert en relations internationales décidant des vues de la (future) Maison Blanche. Il y eut les « Wise Men » au début de la Guerre Froide, emmené par George Kennan et Dean Acheson, puis les « Best and brightest » de l’Administration Kennedy (repris par Johnson), suivi par un homme seul dans les années 70, Henry Kissinger, avant que ce dernier cède la place aux proches collaborateurs de Ronald Reagan et de George W Bush. Seul Bill Clinton, guidé par une vision principalement économique des affaires internationales, donne ainsi un coup d’arrêt à l’expansion des « Vulcains » dans les années 90 sur le plan doctrinal comme bureaucratique.

Ce sont ces derniers, c'est-à-dire, dans l’ordre d’apparition historique, Donald Rumsfeld, Richard Cheney, Colin Powell, Richard Armitage, Paul Wolfowitz et Condoleeza Rice, dont James Mann étudie le parcours, les réseaux et la pensée. Ils se démarquent des précédentes « cellules » par leurs carrières, axées principalement sur le militaire à la différence des businessmans d’Eisenhower et des mathématiciens-chercheurs type RAND des années 60. En mettant ces six personnages dans le même panier, l’auteur se lance dans une analyse comparative délicate : il veut démontrer leur vision commune du rôle des Etats-Unis dans le monde bien avant le 11 septembre 2001. Leur soutien à George W Bush en 1999-2000 est-il une base suffisante pour appuyer cette idée ?

Selon l’auteur, il n’a jamais existé au sein de l’Administration Bush (fils) deux camps retranchés, celui des colombes emmené par le Secrétaire d’Etat Colin Powell et celui des faucons conduit par le VP (Vice President) Dick Cheney. Pour quelles raisons ? Ils apprirent leurs codes et construisirent tous leur pensée au moment de la Guerre Froide et de la Guerre du Vietnam tout particulièrement. L’expérience des années 70 fut décisive pour chacun d’eux. Dans les six mini-biographies proposées par les premiers chapitres, le lecteur réalise les conditions spécifiques dans lesquelles leurs ascensions ont commencé : dans la jungle vietnamienne pour Powell et Armitage, au sein d’une Maison Blanche en déroute sous Nixon, Ford et Carter, avec toujours le même ennemi en ligne de mire, l’Union Soviétique (Cheney, Rumsfeld, Rice) ; ou dans un Pentagone meurtri par d’incessantes coupes budgétaires et un prestige entamé par le Vietnam (Rumsfeld, Wolfowitz). De ces expériences, nos conseillers auraient déduit quelques leçons fondamentales similaires.

La première d’entre elles est la croyance en l’utilité de la force. Un dialogue aboutissant à des concessions qui ne sont pas dans l’intérêt de la sécurité des Etats-Unis, et qui pourraient être interprété comme une marque de faiblesse par l’ennemi, est aussi inutile que risqué. S’ils sont pessimistes sur les intentions de certains régimes ou leaders, ils sont en revanche optimistes sur la capacité des Etats-Unis à faire le bien, à imposer des valeurs que l’excellence de la formule démocratique rend universelle. Un pouvoir exécutif renforcé, concentré autour de la Maison Blanche (en fait autour de Cheney entre 2000 et 2006), est une condition nécessaire pour être en mesure de conduire une politique extérieure cohérente et décisive. L’ONU est de trop dans ce cadre : le souvenir des contraintes de SALT les a rendu méfiants des négociations internationales ou le rapport de domination n’est pas assuré. Le réalisme westphalien d’Henry Kissinger est ressenti par tous comme un échec, stratégique et moral.


Autre facteur de rapprochement des Vulcains : des carrières qui se croisent et qui sortent renforcées de ces « croisements ». Donald Rumsfeld coopte par exemple Richard Cheney à la Maison Blanche de Nixon en 1969. La montée en puissance de l’un est depuis cette date suivie par la montée en puissance de l’autre. Il en va de même pour Colin Powell et Richard Armitage qui travaillent pour Casper Weinberger au Pentagone dès 1983 (sous le mandat de George W Bush, ils forment le même duo mais cette fois-ci au Département d’Etat). Paul Wolfowitz et Condi Rice semblent à première vue en dehors de ces cercles : tous deux sont classés d’abord comme ‘intellectuels’, chercheurs, plus jeune que les quatre autres... Pourtant leurs carrières débutent dès la fin des années 70 : le premier travaille pour le sénateur « Scoop » Jackson (grand opposant à la ‘Détente’) puis au Département d’Etat sous Reagan (il s’occupe des affaires asiatiques, le même poste qu’Armitage au Pentagone) et fraternise pour de bon avec Cheney et Rumsfeld avec l’arrivée de George H Bush. Condi Rice est elle repérée par Brent Scowcroft au NSC de Jimmy Carter puis au NSC de Bush père (grâce à Scowcroft une nouvelle fois). La fusion est ainsi accomplie entre les ‘six’ sous le mandat du père du Président actuel. Les fréquentes victoires du parti Républicain, le « réseau Bush », et ce que la plupart des américains considèrent être ‘leur’ victoire autour de Ronald Reagan contre l’Empire soviétique, expliquent une longévité assez unique dans la vie politique américaine.

Cette ambiance washingtonienne est décrite en arrière plan. Les équipes de politique étrangère sont bien plus fournies du côté républicains que du côté démocrates, et plus respectées. Dans les années 90 les anciens de Bush père ne cessent de se réunir, de signer des déclarations, de communiquer pour finalement gagner sans conteste le débat intellectuel en 2000-2001. Le discours de Paul Wolfowitz à West Point au début de l’année 2001 sur une possible attaque surprise contre les Etats-Unis est de ce point de vue remarquable. Les Démocrates parlaient eux d’ « une menace terroriste sur le déclin »[1]. Suivre la construction de la légitimité de ces six acteurs est particulièrement fascinant pour le lecteur de 2008 qui connaît la tragique déconstruction des années suivantes.

Mais selon nous, cette construction oublie deux acteurs déterminants : les agences de renseignements et le Président lui-même. Ecrit en 2004, l’auteur n’avait pas encore conscience de la bataille bureaucratique et judiciaire livrée entre l’Administration Bush fils et la CIA en particulier. Cette rivalité entre certains des Vulcains et les services secrets démarre lorsque Paul Wolfowitz et Donald Rumsfeld (entre autres) accusent le NIE[2] de 1974, évaluant comme à l’accoutumé l’armement soviétique, de sous-estimer la menace nucléaire. La bataille continue à intervalles réguliers jusqu’à la rupture suivant l’échec des introuvables WMD’s [3]. Récemment, la démission de Richard Perle en 2003[4], le procès de Scooter Libby[5] en 2006-2007, ou le NIE de décembre 2007 sont les énièmes épisodes d’un conflit qui apparaît peu dans l’ouvrage.

L’auteur apporte des nuances nécessaires à son raisonnement. L’hétérogénéité des Vulcains est en effet très réelle : néo-conservateurs contre réalistes, « reaganites » contre Bush-Baker, Powell-Armitage contre Rumsfeld-Cheney (les premiers ont fait le Vietnam, pas les seconds…), Armitage contre Wolfowitz… Les divergences sont nombreuses. Elles sont certainement plus nuancées et moins déterminées que l’auteur le prétend. Par ailleurs James Mann ne dit rien (ou presque) sur leurs rapports individuels au Président, sur l’opinion la plus influente à certains moments précis de l’Administration Bush : invasion de l’Afghanistan, discours de l’Etat de l’Union en janvier 2002 ou renversement de Saddam Hussein. La question est d’autant plus essentielle que George W Bush est relativement peu au courant des affaires étrangères avant le début de son mandat et qu’il fonctionne en vase clos. Dick Cheney serait pour l’auteur l’artisan central des politiques extérieures, mais du dépouillement des archives nationales sortiront peut-être d’autres figures présentes dans l’ouvrage.

Au final, l’essentiel pour l’auteur aura été de montrer que le 11 septembre n’est pas le facteur principal unifiant des décideurs de la politique étrangère américaine autour de Bush. Malgré le soutien accordé par les « néo-con » à John Mc Cain en 2000, Wolfowitz et Rumsfeld eurent des postes à haute responsabilité dès le début de l’année 2001 comme de nombreux autres signataires du PNAC[6]. Ils étaient déjà en position dans l’équipe du nouveau Président. Leurs idées prirent part aux premières décisions (notamment celle de la construction d’un bouclier anti-missile). Elles furent simplement propulsées par un contexte qui acheva de convaincre pour un temps Rice, Powell et le Président lui-même.

Michael Benhamou

[1] « The declining terrorist threat », Larry Johnson, New York Times, 10 juillet 2001
[2] National Intelligence Estimate, rapport annuel des services de renseignement
[3] Armes de Destruction Massives.
[4] Un scandale éclate suite à des révélations anonymes faites à Seymour Hersh.
[5] Chef de cabinet de Dick Cheney de 2001 à 2005, accusé d’avoir révélé l’identité d’un agent de la CIA, Valérie Plame, dont le mari, diplomate, avait expliqué publiquement en 2002 que Saddam n’avait plus de WMD’s.
[6] Project for A New American Century,1997.