mardi 5 février 2008

Le cœur de Jacques Chirac


Villepin – « Sur Clearstream je vous ai parlé, comme dirait Jacques Chirac, avec cœur Nicolas.

Sarkozy - J’espère que c’est avec cœur Dominique, mais pas au sens de Jacques Chirac, parce que le cœur de Jacques Chirac, on sait ce que ca vaut, hein ? »

Etonnant ces échanges entre l’ancien Premier Ministre et l’actuel Président de la République. Le livre de Bruno Le Maire, Des hommes d’Etat, paru chez Grasset il y a quelques jours, en regorgent à longueur de chroniques dans un format qui ressemble beaucoup à un journal intime. Il est écrit après des journées de travail harassantes de janvier 2005 à mai 2007. Notre auteur, diplomate de carrière, se trouve être l’un des plus proches conseillers de Villepin: ils assistent aux déjeuners, aux rencontres internationales, au Conseil des Ministres… Lorsqu’en juin 2005 cette petite bande s’installe à Matignon, tous pensent aux présidentielles de 2007 et à l’homme fort à battre du moment, déjà, Nicolas Sarkozy.

Subjectivement, Le Maire semble toutefois nier à Villepin cette soif « animale » de gagner en 2007 qu’avait Sarkozy. Il nous semble que cela soit faux : le CPE et l’Affaire Clearstream ont refroidi les espoirs d’un homme qui, malgré ces deux charges sur le dos, donnaient encore des signes de vouloir se présenter. Il en est en fait dissuadé par la popularité immense d’un Sarkozy qui, et c’est l’une des surprises du livre, cherche jusqu’au bout le compromis, voire l’alliance : « … nous sommes beaucoup plus proches qu’on le dit. Vous n’êtes pas chiraquien, Dominique. Chirac veut gérer la France, nous, nous voulons la transformer ». Villepin contredit le propos mollement.

La suite est connue. L’auteur reconnaît quelques uns de ses torts, notamment celui de ne pas avoir senti le tollé syndical en janvier 2006 et d’avoir conseillé le passage en force via le 49.3 quelques semaines plus tard. La décision de trop rétrospectivement. Au fil des jours, puis des semaines, Villepin se décompose, son entourage ne maitrise plus rien, Nicolas Sarkozy, paradoxe, en sort renforcé.

Et Jacques Chirac ? Il s’ennuie. Il passe des coups de fil à « Vladimir », influe sur les affaires en offrant quelques vagues commentaires à son Premier Ministre et se montre souvent peu inspiré. En fait il pense à autre chose, à son passé, à la mort selon l’auteur. Le dimanche 18 février 2007 est le point d’orgue nostalgique du récit : Chirac raccompagne Villepin jusqu’à Matignon. Il fait nuit noire. A moins de trois mois des présidentielles le spectacle est déjà terminé. C’est l’occasion pour le Président de revivre ses années à Matignon, il raconte l’emplacement des meubles « avant » (c'est-à-dire en 1986…), son endroit favori pour s’assoir, il note les petites différences.

Le lecteur est ému. L’homme qui a occupé la grande majorité des postes à haute responsabilité qu’offre la Cinquième République rend hommage une dernière fois à l’une de ses anciennes demeures exécutives. Mais Chirac, lui, s’ennuie toujours. Il a cessé d’y croire. Le pouvoir l’a lassé selon sa propre expression, les français le fatiguent. A force de ne jamais vouloir rompre l’équilibre social, fragile selon lui, de ne prendre aucun risque électoral et international, de se cacher derrière ses Premier Ministre successifs, seuls à affronter la tempête, Jacques Chirac aura été son propre somnifère. Il fut ce conservateur, à la française, c'est-à-dire royaliste, constant et consternant de passivité.
Michael Benhamou