mercredi 16 avril 2008

Le CIO malade de ses oublis

A quelques heures de l’olympiade pékinoise, le CIO veut faire croire qu’il s’étonne de l’intrusion du politique dans ses Jeux Olympiques.
Pour cela il brandit sa charte comme un brevet d’innocence et rappelle à ceux qui auraient eu l'outrecuidance d'oublier qu’ « aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. »
Mais il oublie que dans sa course à la si recherchée visibilité mondiale, dans sa quête du succès médiatique et ses prétentions économiques, il a accueilli en son sein les débats politiques. Ces mêms débats qu’il prétend pourtant vouloir laisser sur le seuil de sa porte. Le CIO oublie donc et prend un risque. Celui d'accepter dans ses rangs, parmi ses membres, autant de nations. Celui de croire ceux qui assurent la main sur le cœur, de leur respect des principes fondamentaux de l’olympisme, alors qu'ils font régulièrement la preuve du contraire. Voilà le prix de la construction d’un évènement planétaire. Voici que le CIO doit prendre ses responsabilités et ne plus se cacher derrière le paravent moelleux de l’olympisme.
Certes il faut aussi comprendre ces JO et les principes qui les régulent comme un produit occidental. Ce produit est avant tout la résultante des conceptions que l’histoire et l’Occident ont érigé en fondements indépassables pour leur propre salut. « Le respect des principes éthiques fondamentaux universels » et la notion de « sport au service du développement harmonieux de l’homme en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine » sont quelques unes des valeurs centrales que le CIO désire développer et élever aux rangs des imperturbables.
Or de deux choses l’une, soit les nations membres considèrent qu’il faut au regard du caractère planétaire de l’évènement prendre en compte les différences d'appréciation et de conception pouvant exister entre elles et le cas échéant fait évoluer principes. Soit le CIO prend de plus grandes précautions dans le choix de ses membres et veille plus rigoureusement au respect de ses règles. La responsabilité du CIO est par conséquent engagée.

Il ne lui suffit plus de se plaire à répéter telle une doxa immémoriale, que le sport est et doit être apolitique. Il n'est plus tenable d'assurer que le CIO poursuit sa philosophie olympique : rester "l’avocat de la paix et du respect mutuel entre les nations", car le CIO oublierait encore. Il oublierait qu’il a régulièrement semblé étonné lorsque tout au long de l’histoire des JO, il a ouvert son lit à la politique.
l’Olympisme n’est pas entré en politique depuis le choix de Pékin comme site d’accueil des 29èmes olympiades. Les JO constituent depuis bien longtemps un fidèle reflet de la puissance des Etats et des rapports qui les lient ou les opposent. Depuis 1896 précisément et la naissance des jeux modernes. Les JO ont une dimension politique et il parait difficile de le contester sinon de l’oublier. Son histoire est une litanie d’exclusions punitives, de boycotts, d’affrontements, dont le pourquoi du comment relève d’abord des relations internationales.
Il existe plusieurs raisons à cela. Une raison tout d’abord constitutive et originelle. L’étroitesse du lien entre l’olympisme et la politique, s’il est ténu, s’est d’emblée révélée. En 1894, lors du Congrès International de Paris, en Sorbonne, Pierre de Coubertin et son idéal olympique ne sont pas seuls. Les nationalismes européens sont avec eux. On repassera pour un contexte favorable à la mise en place d'un sport dépassionné, pour assurer des liens pacifiques et raisonnés entre des nations raisonnables. Ce n'est plus l'heure. Or « si le sport n’est pas la cause des nationalismes, il parait pourtant les révéler, voire les exacerber. » En effet, la figure de proue, l'instrument des JO, le sport moderne, est tombé très tôt dans « le filet des idéologies. » Le sport est irrémédiablement une composante, voire le parfait miroir de la vie internationale. Le sport peut être le moyen d’une politique étrangère, l'outil de prestige national d'un régime. Charles Maurras évoquait déjà au lendemain du Congrès de Paris que si « jadis, les peuples fréquentaient les ambassadeurs, maintenant les peuples se vont fréquenter directement, s’injurier de bouche à bouche et s’en…ler de cœur à cœur. La Vapeur qui les a rapprochés ne fera que rendre plus faciles les incidents internationaux. Les Bismarck à venir ont encore de la carrière. »
Certes le CIO n’est pas seul à devoir être incriminé. Comme nous venons de le voir, les Nations, au premier rang de cet évènement, s’en sont toujours peu élégamment ou peu discrètement servies. Pour des raisons de prestige notamment. Le rôle dévolu aux athlètes qualifiés pour les JO est à cet égard symptomatique.
Aux Etats-Unis notamment, ils sont devenus les icônes d’un modèle, les ambassadeurs d’un pays, une armée en campagne à eux seuls. Bravant les tours de piste, la fuite du temps, et autres lois de la pesanteur, ils doivent en commis voyageur du modèle américain remplir de fierté une nation et asseoir leur supériorité physique et intellectuelle sur les autres nations du monde. La première puissance mondiale et son armée surpuissante peuvent-elles envisager, ne serait-ce qu'un instant, de ne pas être également la première nation olympique?
Les Jeux Olympiques de Mexico durant le mois d'octobre 1968 rassemblent une grande partie de ces dynamiques. Restés dans la mémoire collective sous l'image forte du poing levé ganté de noir, défiant le ciel, ils s'avèrent intéressant à d'autres titres.
D'abord parce qu'ils corroborent l’influence des relations internationales et des tensions entre les Nations.
Les JO de Mexico du 12 au 27 octobre c’est d’abord un lourd contexte, des évènements politiques majeurs. Le pasteur Luther King est assassiné le 4 avril, Bob Kennedy le 6 juin. Les chars soviétiques pénètrent dans Prague quand la guerre du Vietnam fait rage et l’offensive du Têt, douter l’Amérique. A cela rajouter une année tumultueuse, peu meurtrière mais particulièrement féconde parmi la jeunesse mondiale, mais aussi un apartheid toujours aussi féroce en Afrique du Sud qui ne cache que mal des maux similaires dans l’Amérique ségrégationnistes.
Les tensions sont donc vives et les douleurs olympiques vivaces. L’Afrique du Sud est exclue en avril sous la pression des délégations africaines qui boycottent tout de même ces Jeux en raison de la présence Néo-Zélandaise et de ses coupables liens avec l’apartheid Sud-Af.
Les JO vont bientôt s’ouvrir, l’espoir renaît à peine : les menaces de boycott des athlètes noirs américains ayant vécu, lorsque sur la place des 3 cultures, à Mexico, les étudiants locaux font leur cinéma. Mais là, si les slogans peuvent être comparés avec leurs alters égo américains ou européens, la répression et le nombre de victimes laissent une place de choix au panthéon des victimes olympiques. Certes la cérémonie d’ouverture en était encore à ses préparatifs, mais c’est bien pour sauver « ses jeux » que le président conservateur mexicain Diaz à envoyer la milice « olympia », chargée de la sécurité olympique sur la place pour laisser dans quelques mémoires le souvenir du « massacre de Tlateloco ». 300 morts et des slogans estudiantins qui fleurissent désormais des tombes. Le Mexique, son régime et son président avaient une image à tenir, un script à respecter, l’histoire d’un Mexique sans histoire, d’un pays sage malgré les voisins bruyants et encombrants. La CIA selon l’espion Philip Agee « aidera ».
Enfin les JO commencent laissant à l’oubli cet instant peu olympique mais qui pourtant en ponctue inconfortablement l’histoire.
Ils s’ouvrent sans délégations africaines, les athlètes noirs seront quand même sur le devant de la scène. D’abord grâce aux légendaires Tommie Smith et John Carlos, sympathisants des Blacks Panthers et du Black power. Ils seront exclus à vie des JO sur recommandations du CIO. Quelques jours plus tard, c’est au tour de 3 autres athlètes noirs américains, Lee Evans, Larry James et Ronald Freeman qui ont réalisé un triplé et montent sur le podium avec un béret noir vissé sur le crâne pour dénoncer le racisme dans leur pays. Ils le retireront dignement pourrait on dire au moment des hymnes. Enfin ce sont une large part des athlètes noirs américains et de leurs compatriotes blancs qui portent sur leur veston un macaron portant celui-là l’inscription claire « Olympic project for human rights. »
Sébastien Deslandes.